
Pour commencer, j’écris cette critique du film Gagarine grâce à mon statut de jury étudiante au Prix France Culture Cinéma Des Etudiants de cette année. Je me sens à la fois reconnaissante et privilégiée de l’avoir visionné avant sa sortie le 23 juin et je pense qu’un article s’imposait.
Nommé au Festival de Cannes 2020 et réalisé par Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, Gagarine est un film conscient, subtil et incroyablement beau. Le film prend place dans la cité homonyme Gagarine à Ivry Sur Seine et met en lumière Youri, Diana, Houssam et les habitants de la cité. Je voulais revenir sur les deux points clés qui pour moi fondent le film et le rendent si particulier.
Le monde spatial comme rempart psychologique : le cas de Youri
Gagarine est une cité et communauté soudée et multiculturelle mais délaissée par les instances publiques et surtout sociales. Youri, le personnage principal du film est le dernier défenseur et gardien de la cité. L’adolescent obsédé par l’espace et le monde astronomique, réincarne le symbole du célèbre astronaute russe Youri Gagarine, qui avait d’ailleurs inauguré la cité en 1963. Youri est d’abord accompagné par ses amis Diana (jouée par Lydia Khoudri) et Houssam (Jamil McCraven) dans sa démarche. Malgré tous leurs efforts pour contrer l’insalubrité et la promiscuité présentes dans les lieux communs de sa cité, les efforts de Youri et ses amis seront vains car Gagarine sera tout de même démolie (en 2019). C’est ici que l’on rentre dans le vif du sujet.
Gagarine est pour Youri son entre, sa seule et véritable maison, c’est son repère et son dernier rempart psychologique. Sa personnalité passe d’allocentrique à égotique pour préserver son psyché. Abandonné par sa mère, Gagarine est la matérialisation de l’espoir du jeune adolescent de retrouver un jour sa mère et de préserver l’esprit et les souvenirs de la cité, de tout ce qui fonde sa vie. Gagarine me rappelle d’ailleurs The Last Black Man in San Francisco, sur lequel j’ai écrit, par sa grandeur et sa thématique. Gagarine balance à merveille entre le social et la science fiction. Le monde extérieur devient étranger. L’analogie du monde spatial est superbement exécutée. Les plans visuels et décors sont à couper le souffle, comme le vaisseau de Youri ou cet aspect désertique des terrains vagues de la cité qui parfois rappellent la planète Mars et d’autres scènes, pouvant rappeler le célèbre film Space Odyssey 2001 (1968). Dans le film on parle peu, le silence tient un rôle secondaire, on laisse la parole aux lieux et à la cité qui ont beaucoup de choses à nous dire.
LA CITÉ : une communauté loin du bloc monolithique cliché d’individus

Le film Gagarine vient balayer ce cliché social ancré dans le cinéma français, promouvant souvent les cités que comme des lieux hyper dangereux et tout simplement des zones de non droit oubliant que des personnes y vivent. Le film ne tombe pas dans le pathos politique : il montre des réalités socio-économiques très dures avec poésie et candeur. Avec l’avènement de nouveaux et nouvelles réalisatrices français de la nouvelle génération, ce cliché tend à disparaître. Aussi innocent voire idyllique que cela puisse paraître, Gagarine arrive à rendre l’exode social forcé d’habitants d’une cité humainement supportable. On est face à des habitants partagés entre l’envie de se battre et l’envie d’un environnement spatial plus agréable et séduis par l’appel du départ. Gagarine est une cité vivante, riche et multi-générationnelle.
Dali joué par Finnegan Oldfield
Le film relève majestueusement l’abandon socio-économique de l’état mastodonte et suprême envers ces « cités » si souvent diabolisées et dont les habitants souvent rendus mutiques. On comprend la violence de l’instant et on assiste aussi au démantèlement d’un esprit d’une communauté forgée au fil des décennies. Gagarine remet au centre du débat social la gentrification, où on efface l’héritage social d’habitants, qu’on chasse comme des parasites et qui ne méritent tout bonnement pas une amélioration de leur habitat. Et ainsi on assiste à l’expulsion de familles qui ont vécu et parfois engendrées de nouvelles générations. Grâce aux témoignages à la fin du film, on comprend qu’un immeuble et un quartier ne tiennent pas grâce à leurs fondations mais aux vies qu’ils contiennent. On ne nous dit pas ce que Gagarine deviendra, on nous parle seulement de démolition mais non de reconstruction et donc d’un renouveau.

Enfin, Gagarine est une belle oeuvre visuelle avec un casting talentueux, des lieux de tournage ordinaires rendus irréels voire sacrés et une critique sociale encore plus d’actualité avec le balayage socio-spatial en cours prenant place dans la petite couronne parisienne en vu du Grand Paris. Vous pourrez retrouver Gagarine dans les salles obscures à partir du 23 juin 2021.
Lunaticharlie.
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Un commentaire sur “Gagarine : portrait d’une « douce violence » sociale (critique)”