Le film du réalisateur californien Joe Talbot, dévoilé et grand gagnant du jury au festival annuel des films indépendants Sundance en 2019, est nécessaire et brillant. Le film met en lumière plusieurs problèmes sociaux , sociologiques, culturels et actuels présents dans la plupart des grandes villes occidentales. En voici une analyse.
I. LA GENTRIFICATION DES GRANDES VILLES

Comme beaucoup de grandes villes européennes et américaines, San Francisco connaît depuis ces dernières années un remplacement social, économique et culturel de leurs populations. Mais d’abord : qu’entend-on par gentrification? D’après le fameux Wikipédia, la gentrification serait, je cite : « du mot anglais gentry, « petite noblesse »), ou embourgeoisement en français ou boboïsation (du terme bobo) dans la presse, est un phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s’approprient un espace initialement occupé par des habitants ou usagers moins favorisés, transformant ainsi le profil économique et social du quartier au profit exclusif d’une couche sociale supérieure« .
En d’autres termes, c’est l’arrivée dans un quartier populaire d’une population plus aisée. Les brasseries remplacées par des Starbucks, les épiceries par des magasins de vélos ou skateboards. Touchant comme dans le film, des quartiers majoritairement habités par des communautés afro-américaines et les minorités en général, les habitants sont pour la plupart obligés de quitter les quartiers et au final la ville due à une hausse du prix de la vie et surtout des loyers (un documentaire de la chaine Viceland a très bien illustré la situation*). Au delà de la situation raciale, le problème économique est bien plus dévastateur.
La Californie, région clé de l’économie mondiale, abritant la plupart des sièges sociaux des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) et foyers de multiples entreprises des nouvelles technologies, a vu une explosion des prix des loyers et des propriétés. De la petite couronne parisienne à San Francisco, les populations locales et natives se voient balayer pour le bien du capitalisme et d’un futur économique qui ne pourrait leur bénéficier. Avec ce film, Joe Talbot nous amène à réfléchir sur cette problématique actuelle. Il ne s’agit pas de blâmer les riches blancs mais de tout simplement comprendre pourquoi ce système d’embourgeoisement ne profitent qu’à certains. Sous une Amérique plus divisée et à l’aube d’une énième élection présidentielle, The Last Black Man in San Francisco enseigne et retranscrit sous le signe d’un esthétisme cinématographique épuré, poétique et coloré la réalité sans l’effacer.
II. UN FILM REALISTE et PERSONNEL


Le film permet d’approcher ce phénomène de gentrification grâce au vécu du réalisateur, car en effet, le film s’inspire de ses amis et de son environnement.
Comment grâce à une intox familiale, un jeune homme à la vie plutôt monotone et sans saveurs a réussi à se donner un but. Jimmie Fails a grâce à une fable, une légende, pensait pouvoir penser hérité d’une propriété, qui lui aurait permis de bâtir son avenir. Au delà de l’héritage que cette maison pouvait porter, la maison a permis à Jimmie de se relever et de se donner une importance existentielle. Avec un ancien père toxicomane et une mère rayée du tableau l’ayant délaissé, Jimmie ou Jayboe était livré à lui même sous tous les plans. Malgré la compagnie de son meilleur ami Mont, quelque chose lui manquait.
Jayboe et Mont ont quelque chose d’atypique. Sans vouloir rentrer dans les clichés, ils semblent être anormaux dans leur quartier d’origine et à la fois anormaux le quartier de la soi-disante propriété construite par un ancêtre de Jimmie. Le quartier et ses voisins ne sont pas accueillants. Jimmie et Mont sont entre deux mondes. On le sent lorsque l’un des personnages Koffi insulte Jayboe de petit gars embourgeoisé, ayant perdu ses racines et oublié son histoire. Le paradoxe de rester fidèle à soi-même, son affiliation sociale et culturelle tout en voulant s’échapper et parvenir à devenir propriétaire et changer son statut social.
L’histoire de Jimmie a une résonance particulière pour beaucoup de descendants des 3ème et 4ème générations d’enfants de migrants ou de minorités. Nourrit par l’espoir de devenir propriétaire, Jimmie prend soin pendant des années de cette maison familiale jusqu’à ce que son ami et la société lui rappellent que cette maison ne sera jamais sienne par héritage mais seulement par achat. Cette fable, cette légende était le seul échappatoire pour Jimmie. L’annonce de la vérité lui a fait réaliser que plus rien le retenait dans cette ville, d’où son départ à la fin du film. Le départ de Jimmie peut être interprété comme une métaphore des populations noires et autres communautés obligées de quitter le navire car chassées de leurs propres quartiers et sans attaches terriennes. Le vécu, le système social, culturel, la vie de quartier ne suffisent, le capital prend le dessus.
The Last Black in San Francisco a en son titre tout résumé : la propriété pour laquelle Jimmie se battait et entretenait pendant des années représente une lutte actuelle. Un propriétaire terrien afro-américain dans un quartier résidentiel et dans une ville gentrifiée déjoue toutes les statistiques. Il y a des Jimmie dans toutes les grandes mégapoles mondiales, luttant et tentant de sauver leurs patrimoines contre la pression économique et immobilière qui pèse sur eux. The Last Black in San Francisco s’inscrit dans une lignée de films militants et tout autant créatifs.
Lunaticharlie.
Une vidéo explicative :
2 commentaires sur “The Last Black Man In San Francisco: un film militant nécessaire (ANALYSE)”