
Réalisé par Darius Marder (The place beyond the pines, 2012) et nommé 6 fois au Oscars cette année, Sound of metal (2019) est un film sublime. On suit Ruben, joué par Riz Ahmed, batteur dans un groupe de hard rock/métal, avec sa copine Lou (jouée par Olivia Cooke). Ruben apprend après un énième concert sa surdité irréversible. Sound of metal réussit avec brio à aborder le sujet du handicap et les embuches sociales et psychologiques traversées quand tout notre monde éclate. Pour cette analyse du film, je vais me calquer sur les 5 étapes du deuil, car le film démontre bien une chose : Ruben semble faire le deuil de lui même en traversant en quelques mois ces 5 étapes : le déni, la colère, le compromis/marchandage, la dépression et enfin, l’acceptation.
LE DÉNI ET LA COLÈRE
La première étape que Ruben affronte est le déni. On ne peut imaginer la souffrance pour un artiste, d’autant plus un musicien, que de perdre l’ouïe du jour au lendemain. Dans le cas de Ruben, c’est à la fois sa passion et son intégrité physique qui sont mises en péril et supprimées. L’apparition des premiers signes de sa surdité sont réellement bien exécutés. Riz Ahmed incarne parfaitement la désillusion et la colère. Colérique et orgueilleux, il est guerre contre lui même. Au point, où il continue de jouer d’autres concerts, poussant à bout ses capacités auditives, psychologiques et émotionnelles. Sa compagne Lou est elle très sure de l’avenir du batteur et son attitude est déjà dans le réel. Tout comme leur manager qui comprend que la carrière du batteur ne sera plus jamais la même. Seul le batteur, traumatisé n’arrive pas à admettre ce changement brutal.
LE MARCHANDAGE
En l’espace de quelques jours Ruben se retrouve sans accroches sociales et humaines. Il est laissé dans un centre pour personnes sourdes et muettes. Dans ce refuge, coupé du monde, Ruben découvre un nouvel univers silencieux et où ses doutes sont très bruyants. Son incompréhension face à sa nouvelle vie est tout à fait sensible. Le film nous ouvre partiellement à une réalité des personnes sourdes et malentendantes. La surdité et le mutisme sont courants mais il est rare en tant qu’entendants, au quotidien, d’échanger avec des personnes muettes et sourdes. Le film rappelle ses divisions dans nos réalités, où l’insertion dans le monde des entendants passe malheureusement par un « apprentissage » et une « adaption » de soi même. On rentre dans le pathos, où nous sommes face à un homme essayant de faire revivre son ancienne vie. Ruben s’adapte et se redécouvre grâce à ce centre, avec un patron touchant et paternel Joe (joué par l’excellent Paul Raci) qui lui permet d’appréhender ses nouvelles faiblesses et ses futures forces quant à son « handicap ». Néanmoins, Ruben est bel et bien dans un marchandage avec lui-même. Il met tout en oeuvre échapper à son destin. Entre une opération oculaire semi-concluante et une trahison envers sa dernière famille de coeur, Ruben sombre petit à petit. Ce passage du film invoque l’importance de la socialisation, qui reste capitale, surtout pour un adulte en perdition. Mais surtout, le film met en lumière ce centre dans cette partie rurale des Etats Unis, où co-existent des hommes, femmes et des enfants, qui se battent et se reconstruisent ensemble au quotidien, chose que Ruben ne réussira pas à faire. Le seul point peu abordé dans le film est un accompagnement psychologique. Ruben est parachuté du jour au lendemain sans réel suivi thérapeutique.
LA DÉPRESSION
Toujours sublimée par le jeu de lumières du film, on retrouve Ruben seul face à ses propres choix et encore aveuglé par ses illusions. Il comprend et envisage petit à petit sa surdité et tente le tout pour le tout afin de retrouver le socle qui façonnait sa vie et son art : Lou. La chanteuse française, dans le film, a continué sa carrière et a rejoint sa famille en France. Cette partie du film est peut être la plus intéressante. La jonction faite entre la France et les Etats Unis est sans rappeler l’universalité de l’amour et ainsi, de l’amour de la musique et ici du rock. Le passage en France de Ruben bouscule autant l’acteur que les spectateurs et il révèle ainsi des grandes disparités sociales et culturelles entre les deux pays, ce qui nous fait entrer dans un autre monde, celui de Lou. Venant d’une famille aisée, la chanteuse n’a pas eu la même vie que Ruben, mais elle a tout de même un passif familial des plus compliqués. Leurs retrouvailles démontrent que Ruben n’est pas le seul à avoir souffert et que Lou a aussi pâti de cette rupture brutale. En France, Ruben et Lou comprendront qu’il faut aller de l’avant et qu’ils ont tous les deux changé loin de l’autre.
L’ACCEPTATION

La scène finale du film, à la fois bruyante et douce vient clore la dernière étape du deuil : l’acceptation de soi et sa réalité. Le film nous laisse en suspens mais on part apaiser car on comprend que Ruben est enfin en paix avec sa surdité et avec lui même. Et c’est sûrement la morale du film : la surdité n’est pas une fin en soi. C’est sûrement facile à dire possédant pleinement mon ouïe. Mais Sound of metal vient réaffirmer qu’un handicap n’équivaut pas à être un sous humain. Qu’on naisse avec ou qu’il arrive en cours de vie, la vie ne s’arrête pas. Accompagner de personnes compréhensives et aimantes et surtout en assumant pleinement cette différence, il est possible de le vivre. Des milliers de personnes fortes dans ce monde, le font tous les jours. Ruben a au final décidé de le faire tout seul, comme un nouveau départ, après avoir exploré toutes ses possibilités, il est prêt à vivre pleinement sa nouvelle vie. L’abandon de son appareil auditif vient le souligner : il est enfin libre.
Sound of metal mérite totalement ses nominations. Riz Ahmed se surpasse dans son rôle et retranscrit à sa manière, la perte de l’ouïe et les épreuves physiques et psychiques qu’elle entraîne. Le film est typique d’un film indépendant et non superficiel, avec aucun signe temporel et chronologique. Seuls l’histoire et le suivi des évènements comptent. Et comme souvent, cette technique d’omission chronologique permet de nous concentrer et d’apprécier le fond et la forme naturelle du film, tant par les lieux choisis, les couleurs et les lumières et le développement complexe des personnages.
Lunaticharlie.
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