Le 4 février dernier, je me suis rendue à la Journée Pro du centre d’Art Poush. Situé à Aubervilliers et abritant plus de 200 artistes internationaux s, Poush s’articule comme un grand atelier refuge, s’étendant sur plusieurs bâtiments et permettant à des créatifs, disposant de quelques mètres carrés chacun, de créer et s’exprimer dans un cadre multiculturel et mixte. Au cours de ces deux heures sur place, je suis tombée sur des artistes tous différents les uns des autres, toutes comme leurs œuvres. Et de l’observation je suis parfois passée à l’action et l’interrogation me permettant de leur poser des questions en les laissant parler eux-mêmes de leurs travaux.
Macha Pangilinan


L’un de mes premiers coups de cœur va à l’artiste russo-philippine Macha Pangilinan. Dans cette grande pièce aux murs blanc cassé, on arrive directement sur ses peintures et dessins. Et on est enchantés par ses portraits, surtout masculins, dénudés et intimistes, ou même des auto-portraits d’elle-même, se représentant en train de se prendre en photo. L’artiste à l’univers moderne et surréaliste dépeint son entourage et son environnement de façon déconcertante, avec comme thèmes principaux vous, elle, le ciel ou les astres. Elle plonge aussi le normal dans le surnaturel à l’aide d’entités aux allures humaines, se contemplant face aux cieux !
Lucile Piketty

Juste à côte de Macha Pangilinan, on rentre en quelques pas dans l’univers ainsi qu’une quasi « gynécée » artistique, créés par Lucile Piketty. Ses oeuvres parlent d’elles-mêmes : elles sont chaleureuses, entières et familiales, elles font tout simplement du bien. Je demande à l’artiste qui sont ces personnes qu’elle peint et c’est tout naturellement qu’elle me répond : « ce sont des femmes de ma famille et de mon entourage ». De sa mère à ses soeurs ou des amies, l’artiste représente ses proches dans des positions ou situations fantasques les faisant sortir du cadre réel. Elles deviennent des modèles, des entités masquées et magistrales, un peu ludiques mais cent pour cent elles-mêmes.


Katarzyna Wiesiolek

Toujours dans la même pièce que les deux premières artistes citées, je tombe sur les grandes peintures murales de la peintre et dessinatrice Katarzyna Wiesiolek. Ses immenses peintures comme ses plus petites représentations, mettent en avant des milieux naturels et gigantesques tant par leur beauté que leur taille. Dans ce recoin, on est aspirés par une multitude d’émotions, pures et merveilleuses au même titre que les œuvres de l’artiste polonaise. Entre ciel et immenses étendues d’eau ou montagnes enneigées, Katarzyna Wiesiolek rend hommage à une nature sans Hommes, paisible, se mouvant et prenant tout la place qu’elle mérite.


Clara Rivault

Au prochain couloir à gauche, je découvre le monde multisensoriel de l’artiste Clara Rivault. Assise tranquillement sur son tabouret, l’artiste admire les curieux et curieuses qui passent. Je suis intriguée par ses créations très singulières, qui mêlent des façons de faire très différentes mais surtout tendres et fragiles. Fortement inspirée par l’art verrier, l’artiste exprime son appétence pour mixer décors naturels avec des textures du corps humain. Une peau avec ses plus belles imperfections qui rencontre le désert ou les nuages, on est face à des compositions insolites et poétiques. Au cours de notre conversation je me permets avec son autorisation de l’enregistrer afin de mieux entrevoir ses inspirations artistiques :

« La fragilité me fait penser au vivant. Je suis une artiste qui expérimente beaucoup, j’ai une technique pluridisciplinaire et donc j’ai fait du verre soufflé, du ver coulé, je travaille le vitrail. Et voilà le fait que tout peut se briser à tout moment ben ça me – convient, répondent d’autres femmes – Je travaille de plus en plus avec la fragilité c’est comme si j’avais des sueurs froides à chaque fois »
Maxime Testu

Arrivant dans une énorme pièce, j’aperçois directement cet étrange tableau. L’artiste Maxime Testu, étant en pleine discussion, je tiens d’abord à m’approcher et arpenter le dit tableau qui est de plus en plus étrange au fil de mon observation, chose que j’apprécie. Un peu gothique, morbide et caricatural, cet amas de visages aux expressions très prononcées, détone. Comme condamnés à co-exister ensemble, ces personnages immobiles semblent bien vivants et nous retranscrivent leur peur, fatigue ou colère grâce à leurs regards :

« Du coup, quelles sont vos inspirations, par exemple pour ce tableau, qui est vraiment cool d’ailleurs ?
Celui-ci en fait il y a une personne en particulier qui m’a…en fait j’aime beaucoup les dessins de James Ensor, qui est un peintre belge. Et il avait fait toute une série de foules, de dessins de foules. Il avait fait beaucoup des bains à Ostende, avec tout ces personnages qui crapahutaient dans l’eau et c’était juste ça l’idée moteur, je voulais faire des peintures de foules quoi. C’est comme ça que ça m’est venu. Et en ce moment je fais une exposition à Backslash qui est une galerie à Paris, où il y a aussi d’autres peintures et celle-ci c’est tout récent parce que je l’ai fini hier matin. Et c’est même pas sec du tout (petits rires) ».
Anne Commet

Je conclus cet article la magnifique découverte du monde naturo-enchanté ou « géopoétique » (comme elle le dit elle-même, terme crée par Kenneth White) d’Anne Commet. Après avoir arpenté plusieurs bâtiments et une dizaine de pièces, j’arrive dans une pièce reculée mais aussi calme, aux travaux et tableaux méticuleusement bien agencés. Un havre de paix, avec une grande fenêtre donnant sur un boulevard bruyant mais dont on perçoit pas l’agitation sonore. Je contemple les petits tableaux, les gravures et les multiples photographies de l’artiste plurielle, qui m’émeut tous autant à leur manière. L’artiste rend palpable les plantes, les fleurs, leur essence, les pétales ou la sève, les multiples parties et vulnérabilités qui les composent. Sa pièce est un immense hommage et un exutoire visuel de ses ballades dans les champs ou la forêt, où elle s’inspire et crée en même temps :

« Je travaille depuis assez longtemps maintenant en abstraction et j’ai longtemps réfléchi à pourquoi j’étais intéressée par le paysage. Et en fait ce qui m’intéresse dans le paysage c’est le rapport à un territoire et à l’expérience et aux valeurs de l’expérience. Qu’est-ce qui fait qu’une expérience qu’on a vécu à un endroit est importante ou pas. Et du coup quel est notre rapport au monde mais aussi notre rapport à la mémoire. Et cette réflexion autour de l’expérience fait aussi mûrir et a alimenté ma réflexion autour de la technique de comment produire l’image aujourd’hui en photo ou en peinture. C’est pour ça que je travaille tout en transfert.
– D’accord ! Et pourquoi la nature et le paysage, pourquoi les retranscrire de cette façon ?
Pourquoi la nature ? En fait mon sujet principal c’est plutôt la mémoire et notre rapport au temps. Mais je construis ce rapport à l’expérience par l’intermédiaire de la marche et les paysages naturels. Cette marche est quelque part le support de ce rapport au monde, et dans la marche je suis dans ce rapport au monde avec les paysages naturels plutôt qu’avec les paysages urbains »
Ce fut un plaisir de naviguer entre tous ces univers créatifs et artistiques très singuliers. J’ai été inspirée ou émue ou même parfois dans l’incompréhension totale à certains moments, toutes ces sensations qu’on devrait ressentir face à une oeuvre artistique ! Des émotions subjectives !
Lunaticharlie
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Au prochain article ✌🏽 !