Texte, enquête et images par Lunaticharlie – Illustrations par Gwenn.glm
Pendant près d’un mois, partant d’un questionnement personnel et surtout d’un nano phénomène que je voyais autour de moi, j’ai interrogé et je me suis interrogée sur le rôle d’Instagram. Vitrine d’une réalité fantasmée de nos plaisirs ou loisirs et de nos vies, mettant de côté ou bannissant souvent les souffrances réelles tant physiques que mentales, Instagram est devenue ou devient une plateforme sur laquelle on reste souvent sans vraiment le vouloir ou sans vraiment savoir pourquoi. Au fil de cette enquête, j’ai interrogé près de 15 personnes et la fourchette des âges va de 20 à plus de 50 ans. Ces personnes se sont majoritairement exprimées sur Instagram quant aux ressentis qu’ils ont pour la plateforme. Et ce que la plateforme leur apportait à l’aube de 2023 et surtout ce qu’elle leur faisait ressentir en l’utilisant.
Disparaître pour mieux revenir : une application qui pousse à revenir au réel ?


Voici maintenant près de dix ans que les grands médias, la psychologie et les utilisateurs d’Instagram eux-mêmes avertissent et préviennent quant aux méfaits de l’application. Ces derniers mois, je suis moi-même au fil des algorithmes de Youtube tombée sur une multitude de vidéos journalistiques tant américaines que françaises, sur des jeunes adultes qui « désertent » ou abandonnent Instagram et les réseaux en général.
« Quand j’ai désactivé au début je pensais pas que j’allais tenir 3 mois, 4 mois franchement. C’était impossible pour moi mais je l’ai fait ! »
–Nafi–
En plus de ces observations médiatiques, je voyais ce petit phénomène sévir autour de moi, touchant surtout des personnes qui je sais « très » sensibles et avant tout créatives et artistes. Je me suis alors lancée et ai tenté de questionner les personnes qui me répondaient sur Instagram. Je suis d’abord partie interrogée ces potes et proches qui avaient pendant des mois et des semaines désactivés leurs comptes Instagram. Et qui pour certains ne sont pas revenus depuis près d’un an ou qui alternent entre apparitions et désintallations frénétiques. Ce sont les plus jeunes interrogés qui ont exprimé, sous un élan philosophique et analytique, leurs craintes existentielles et ce qu’ils ressentaient quant au fait de quitter temporairement l’application. Lorsque j’ai interrogé Michael Stora, le psychologue a relevé un mot que j’ai employé : disparaître. Une disparition pour interroger nos présences virtuelles, une micro disparition de soi, quand le virtuel nous pousse vers le monde réel, quand on doit prendre soin de nous : « Alors c’est intéressant (petit rire) parce que vous avez invoqué le terme “disparaître”, alors si finalement en coupant son compte, on disparaissait ? Vous imaginez l’enjeu existentiel terrible que vous nommez, parce qu’en effet quand je vous ai dit que l’image, parce que ce sont des réseaux d’images surtout Instagram c’est un réseau vraiment d’image, c’est-à-dire l’idée que si je suis photographiée, j’ai l’impression que j’existe en postant ». Pourtant les réseaux sont souvent ces catalyseurs de communautés, de personnes qui se sont souvent senties délaissées, incomprises et qui au travers d’autres individualités virtuelles, d’artistes, de médias, vont faire sens.
Nafi, 20 ans, étudiante en sciences politiques et cinéma, commente sa fuite virtuelle comme impulsive mais aussi réfléchie et nécessaire, afin de se retrouver avec elle-même et échapper à un tourment émotionnel intense qu’elle a trop longtemps laissé courir : « Il y a quelques mois j’ai arrêté parce que j’étais dans une phase de ma vie où j’étais complètement paumée on va dire. Dans un premier temps, j’étais paumée, dans un second temps, j’étais dépassée par le travail, j’avais des partiels, des partiels, des partiels, j’en pouvais plus. Et d’un autre côté, j’en avais marre ! J’en avais marre d’être sur les réseaux, parce que je me donnais une image qui était moi sans être moi actuellement »

Comme Nafi, Anaïs, 26 ans et chef de projet marketing, a pendant quelques mois fin 2022, quitté l’application pour mieux se retrouver face à ses peines, ses « démons » et elle-même. Cette phase aussi dure qu’elle est, semble avoir changé ou au moins endurci ou apaisé les personnes qui ont fait le choix de partir. Ne plus vouloir prendre part au jeu social qui s’impose souvent dans nos écrans le temps de quelques mois : « J’ai quitté Instagram au début du mois de novembre suite à une énième grosse déprime. Je me sens frustrée de ma vie, très seule, insatisfaite en règle générale. Toute ma vie on m’a appris à apprécier mon succès en fonction de ma position par rapport aux autres. Instagram n’a fait que renforcer ce système de pensée toxique« . Plus loin dans son témoignage, Anaïs affirme les bienfaits que son absence loin de l’application lui a procuré : « Je l’utilisais pour me sentir moins seule mais ça n’a fait qu’accentuer ce sentiment de solitude. Je me sens toujours seule, mais je n’ai pas les stories des uns et des autres en boîte ou au resto pour me le rappeler et je peux travailler à construire des relations dans la vraie vie (…) Ma relation par rapport à ce réseau a complètement changé et je pense que je ne l’utiliserai plus comme avant. Et c’est une bonne chose. Je me sens beaucoup plus libre, et je vis uniquement pour me créer ma propre expérience, pas pour pouvoir poster une version enjolivée de ma vie sur les réseaux« .
Les réseaux sociaux et surtout Instagram essentialisent ce vouloir être et paraître, où le psyché, nos « moi » réels et nos émotions sont balayés des écrans, car trop sensibilisants. On le voit lorsqu’un/une internaute s’exprime sur sa santé mentale plutôt fragile, quand des personnes atteintes de troubles ou maladies mentales parlent ouvertement de leurs quotidiens ou tout simplement quand une personne prend, le temps d’un post de dire que ça ne va pas. Ces moments figent quelques instants la plateforme, il y créent une crevasse où un peu de vrai transparaît avant que le flot de l’activité virtuelle reprenne son cours. Pourtant ces moments de faiblesse et ces boosts de réalité, sont souvent partagés et repartagés. Ces instants d’honnêteté mentale et psychologique sont de plus en plus précieux car les réseaux sociaux agissent comme des « extensions » de nos personnalités.
Bien-être mental, psychologique et estime de soi

Comme beaucoup d’entre nous, Nilda, jeune mère de 29 ans, est arrivée sur Instagram il y a presque 10 ans. La jeune femme a vu sa relation avec l’application se dégrader tout comme sa relation avec elle-même. Elle explique son cheminement personnel qui l’a fait quitter l’application. Entre estime de soi et surtout les images virtuelles des autres, la jeune femme a préféré se distancer du « cirque » numérique et psychologique qu’elle entretenait sur l’application :

« La première personne qui m’a fait la remarque c’est mon fils et après mon mari, qui m’ont dit : “tu y passes beaucoup trop de temps, t’es trop investie […] Instagram commençait un petit peu à faire la pluie et le beau temps dans ma tête et c’était un petit peu chiant. Je dirais même que c’était oppressant pour moi, je ne m’en rendais pas compte«
Il y a autre chose : les influenceuses par milliers et qui nous partagent leurs corps de rêve, parfois retouchés, très souvent même retouchés, chose que je ne savais pas du tout et qui me complexe énormément. Notamment parce que je suis maman donc il y a beaucoup de mamans influenceuses, des mères mais absolument « parfaites » quoi ! »
Comme un état d’urgence permanent, l’utilisation de l’application s’est dégradée pour un grand nombre de personnes : le nombre d’heures passées dessus, notre rapport à nous-mêmes et cette perpétuelle comparaison à laquelle nous sommes souvent poussés dessus. Dérivée de la culture du « always smile » pour citer M.Stora, Instagram est devenu ce far-west, ce méli-mélo du paraître virtuel, comme sa grande concurrente TikTok, où notre image et nos personnalités sont des monnaies d’échange. Parmi les personnes interrogées, les avis divergent mais une tendance est revenue surtout chez les plus jeunes d’entre eux : ne plus avoir le temps pour son soi réel ou l’impression d’échouer dans la vie réelle. Nos corps, hommes comme femmes, sont analysés et comparés à des standards surréalistes. Pour le psychologue et psychanalyste spécialiste des questions liées aux individus face aux jeux vidéos et au numérique, Michael Stora, la question du mal-être numérique est alarmante mais souvent représentative de maux émotionnels et psychiques qui se manifestent et qui viennent empiéter sur nos avatars et personnalités virtuels :
« Moi ce qui m’intéresse c’est “la petite histoire”. C’est-à-dire, qu’il faut bien saisir que dans mes quelques patientes, car ce sont plutôt des filles qui ont un moment décidé de quitter la plateforme, souvent c’était en lien avec une histoire personnelle, qui, disons les choses, pas toujours très gaie. Et qui ont pu un moment réinterrogées, entre autres deux de mes patientes pour sûr, le fait que c’est pas tant la plateforme, mais le fait de suivre, certaines influenceuses, qui à force d’afficher une vie très idéalisée, une beauté idéalisée, faisait que ça devenait totalement déprimant. C’est-à-dire que d’une certaine manière, ce miroir que pourrait être Instagram, leur renvoyait une image très négative d’elles-mêmes […]
Est-ce que vous pensez que les femmes sont plus touchées ?
[…] Les garçons aussi commencent à tomber dans ce piège depuis un petit moment. Je pense que les garçons de par ce recours par exemple à la salle de muscu, qui est un vrai phénomène de société, montre à quel point les garçons, parfois trop tôt hein, parce que c’est pas très bon de faire trop de muscu quand on est ados en pleine croissance, vont y avoir recours comme un moyen de correspondre eux-mêmes aussi à une image qu’on leur propose, d’hommes qui voilà sont grands, barraqués, beaux, des abdos apparents »

« Ça devient beaucoup moins agréable de venir ici, c’est devenu anxiogène un peu car on a tendance à se comparer à une version idéalisée des autres et on scrolle sans fin et sans grand intérêt dans l’espoir de trouver un contenu un minimum intéressant «
–Nel–

« Je vois un peu Instagram comme la vitrine de mon magasin, c’est ici qu’il faut que je me montre sous mon meilleur jour. Il y a ce côté où j’ai l’impression que tout le monde doit prouver quelque chose, partager un certain lifestyle » – Ryan, 22 ans, artiste-compositeur
« Mon rapport avec Instagram est assez particulier dans le sens où j’aime plutôt bien l’appli, tu peux faire ce que tu veux de ton compte, tu peux en faire un business, tu peux en faire un outil politique, tu peux en faire un album photo, tu fais ce que tu veux. C’est ton truc, c’est ton image. Mais j’ai beaucoup de mal quand même par exemple à être active sur Instagram, parce que j’ai l’impression qu’il y a une ambiance très présente sur Instagram : on dirait que la communauté attend un rôle de toi en particulier […] En fait, cette ambiance c’est quelque chose qui me stresse énormément, qui me hante, parce que j’ai toujours l’impression que je vais devoir quelque chose aux gens »
– Koumba, 23 ans, diplômée en ingénierie du web

Une application où on se joue de l’amour et de soi

Depuis quelques années on parle ouvertement de cet extra, ces plus sociaux et relationnels qu’apporteraient les réseaux sociaux dans et pour nos relations amoureuses. Des chercheurs et chercheuses spécialisés dans les applications de rencontres et « amours numériques » tentent de décortiquer ces nouvelles formes de relations humaines qui naissent au travers d’un monde virtuel et non palpable. Et les réseaux et médias sociaux sont de plus en plus cités publiquement dans la création du lien amoureux et sont aujourd’hui vitaux à la création de nouveaux couples pour des personnes timides ou pas, ne sachant pas réellement se mouvoir ou agir dans les lieux de sociabilité réelle. Comment les réseaux sociaux ont réussi à tisser et créer du lien et des liens parfois durables et pour la vie. Mais surtout comment, comme dans la vie réelle, des stratégies de drague et de visibilité se mettent en place ?
Sekou, 20 ans, étudiant en lettres et le plus jeune interrogé, est la première personne à avoir évoqué ce « playground » (terrain de jeu) émotionnel qu’Instagram pouvait être malgré elle, quand on est en quête d’amour ou d’une connexion éphémère ou durable :
« En ce moment je drague une fille et en réalité, quand on se voit en vrai, ça se passe bien, on parle, on discute, je suis à l’aise. Et puis quand on se sépare et que chacun rentre chez lui et bien chacun vit sa vie. Sauf que moi j’aurais tendance à psychoter, par exemple quand je mets une story et qu’elle ne va pas la regarder ou qu’elle ne va pas tout simplement la “liker”, j’aurais tendance à m’imaginer des choses négatives. Je vais commencer à me dire “ouais elle m’aime pas, elle s’intéresse pas à moi, je suis pas intéressant”, du coup ça va en sorte faire que je sois plus accro aux réseaux sociaux, c’est-à-dire que je vais poster encore plus de choses inutiles qui me serviront à rien. Je vais tout simplement perdre mon temps sur Instagram, au lieu de faire ma vie de mon côté quoi »
–Sékou–

Instagram est notre portfolio informel à nous, c’est notre fenêtre, ce que nous projetons d’être, c’est notre CV social qui va indiquer une partie infime de notre personnalité, construite pendant des années. Profils léchés, postures, filtres ou storytelling, le but est de faire comprendre notre monde. Les profils publics sont des sources intarissables et accessibles pour avoir accès à cette personne qu’on désire ou dont on a trouvé le profil au fil des recommandations et algorithmes. Les profils privés peuvent susciter ce désir, cette incompréhension de ne pas vouloir se montrer et s’afficher publiquement comme tout le monde et le fait de s’y abonner est un signe d’intérêt fortement titillé sous le joug d’une impulsion soudaine ou alors d’un intéressement réel. Un beau visage, une photo de profil attrayante puis le tour est joué et ça glisse en DM. Ici encore, on arrive dans cette phase qu’on appréhende mais toujours soutenue par cette adrénaline du « qui va parler ou interagir en premier ou première ? ». Les derniers outils de l’application des likes de stories sont plus qu’utiles car nous n’avons même plus besoin de parler, juste de se « liker » ou s’approuver mutuellement jusqu’à ce que la parole se libère enfin. Ces flirts on les connaît bien et peu importe leur durée, ils déplacent quelque chose en nous, dans notre estime. Pour les plus romantiques d’entre nous, un flirt virtuel peut déboucher dans le meilleur des cas vers quelque chose de plus grand, qui dépasserait les frontières d’Instagram. Comme le signale la sociologue spécialiste des relations amoureuses virtuelles , Marie Bergström, les réseaux sociaux ou canaux numériques de rencontres, restent tout de même très « hétéronormés » mais tendent de moins en moins à être conçus que pour les personnes hétérosexuelles. Dans son témoignage, Océane, 25 ans et assistante de galerie, parle ouvertement de la plage de possibilités de rencontres à laquelle Instagram lui donne accès et surtout comment son profil peut ouvertement indiquer qui elle est :

« Instagram ça me permet aussi à la fois de voir plus de personnes noires, ça me permet aussi de voir plus de personnes queer, plus de personnes queer et noires. Ça me permet en général de voir plus de diversité […] Instagram c’est un Tinder bis, on va pas se mentir. Pendant longtemps j’avais mon drapeau LGBT dans ma bio, parce que voilà je voulais que les personnes qui savent me reconnaissent. Et puis que les personnes qui te voient, qui sont intéressées, se reconnaissent. Et si je slide dans les DM, tu sais déjà et puis tu vois mes photos aussi. Donc il y a de ça aussi »
– Océane –
Instagram a dans la culture populaire cette place de réceptacle amoureux avec des programmes comme l’émission américaine Catfish, en français « attrape poisson » où des internautes entretiennent et nourrissent parfois pendant des décennies des relations surtout amoureuses avec des personnes se jouant souvent de leurs vraies identités réelles, au travers de faux profils ou faux noms. Le catfishing, ghosting (phénomène auquel France TV Slash a consacré une belle série Youtube) ou orbiting, toutes ces notions anglo-saxonnes viennent traduire des comportements virtuels quant à l’aspect « ludique » voire malaisant parfois mis en place quand une relation s’effrite ou n’a plus de sens pour une des personnes dans la relation. Entre opportunités relationnelles numériques ou déceptions et exceptions émotionnelles, Instagram est un jeu d’échec sentimental informel avec des répercussions palpables.
« En fait, les réseaux sociaux ça bande les yeux, ça bande aussi le coeur, on apprécie pas assez la réalité, on profite pas de nos relations ou des choses comme ça. Pour faire court, les réseaux ça entrave selon moi, ma liberté à apprécier la réalité«
–Sekou–
Une plateforme qui permet de découvrir ou de se redécouvrir

Outre l’impact psychologique que l’application peut avoir, Instagram c’est aussi des profils et des pages qui viennent quantifier et renfermer des boîtes à souvenirs de nos propres vies. Nos amitiés, nos vacances, nos concerts, certains moments de douleurs mais surtout de joie, l’application pour les plus anciens utilisateurs devient ce journal intime numérique où on se voit grandir, changer et évoluer sans que l’on s’en aperçoive. On écrit nos vies sous le joug d’images et vidéos qu’on oublie mais vers lesquelles on revient parfois, pour se remémorer des parties de nous auxquelles on ne pense plus et qui pourtant nous chérissons après tant d’années. Farah, 25 ans et chiropratrice, revient sur cet aspect temporel et candide que l’application suscite pour elle :

« Tu sais parfois il y a des moments de ta vie que tu postes, sur le moment tu les trouves pas hyper importants et puis au final quand tu retombes dessus tu te dis “ah mais putain c’est vrai qu’avant d’avoir ce travail je faisais ça, cette personne je l’avais connu à ce moment là mais on était pas du tout proches. Et puis, maintenant (cette personne) est comme ma sœur tu vois ou maintenant c’est mon mec ou ma meuf. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire mais parfois ça m’arrive aussi de regarder mon profil Instagram et je me dis “ben ouais il est grave joli”. Et ça me rappelle un peu là où je suis partie, avec qui. Mais aussi mes stories je retourne à la genèse, genre au tout début de quand j’avais installé Instagram et je regarde tout […] Enfin bref, c’est un peu une sorte de petit journal que tu relis » – Farah
Bien sûr comme toutes les applications et médias sociaux, Instagram est un outil de découverte de soi-même, on se confronte à de nouvelles réalités et de nouvelles personnes dont les vies et existences nous sont étrangères. Mais Instagram peut aussi devenir une application qui laisse place à des découvertes parfois belles, quand on maîtrise son feed, ses abonnements et surtout ses algorithmes. Plusieurs interrogés ont fait part de ce que l’application pouvait leur apporter culturellement ou médiatiquement, parfois avec excès au début ou une certaine réticence qui s’est dissoute au fil des années comme l’explique Laetitia, 25 ans et chercheuse en anthropologie :
« Et donc l’évolution de mon rapport avec Instagram ? J’ai commencé plutôt tard Instagram parce que j’ai résisté, tu vois j’ai tendance à résister aux nouveaux réseaux sociaux, parce que déjà c’est une distraction. Et c’est surtout plus parce que j’ai pas trop envie de laisser mon empreinte partout et Instagram c’est l’un des pires, mais bon j’ai fait ce choix et je trouve bien mon contenu là-dedans. Je suis énormément de comptes, je suis très généreuse en likes et en abonnements, parce qu’en même temps, quand je vois un artiste ou un compte de bouffe qui est bien ben forcément je m’abonne tu vois » – Laetitia

« Je trouve que c’est l’application où j’arrive le plus à suivre différents évènements, que ce soit des djs sets, des concerts, des conférences, des expositions. C’est vraiment cette plateforme que je privilégie pour avoir ce genre d’informations »
–Océane–
Éducation et générations ou la différenciation quant à l’utilisation des réseaux sociaux

Les disparités éducatives et économiques et surtout générationnelles face aux outils numériques font qu’on est pas tous arrivés sur Instagram ou sur les autres réseaux sociaux au même moment. Sur toutes les personnes interrogées, une grande partie a avoué y être arrivée pendant l’adolescence. Quelques uns il y a à peine quelques années il y a deux ou trois ans voire plus récemment, tant pour des raisons d’éducation que d’accès aux outils numériques. Notre rapport aux réseaux sociaux et à Instagram diffère selon notre date d’arrivée mais surtout le lien qu’on crée avec eux. Pour Abdou, 25 ans et étudiant en physique, Instagram est un simple rallongement de Twitter. Pour Erine ou d’autres personnes interrogées, Instagram représente cette application presque « messagerie » ou qui vient partiellement comblée un besoin informationnel ou communicationnel mais sans réel confort virtuel :

« Pour les réseaux je pense que le truc qui peut te les faire kiffer c’est de suivre que des gens qui t’inspirent sinon ça sert à rien […] C’est ton exposition aussi, par exemple je n’ai eu accès pleinement aux réseaux qu’après le bac avec mon 1er smartphone. J’avais un compte Twitter et Facebook depuis la 6ème mais je les utilisais rarement car j’avais pas un accès Internet chez moi, j’étais obligé d’aller dans des cyber cafés pour m’y connecter. Maintenant j’ai un certain recul sur tout ça et ça m’aide beaucoup » – Abdou
Pour Erine, 23 ans, étudiante en langues et littératures et artiste visuelle, Instagram est cette appli un peu fantôme, sur laquelle elle se raconte sans trop en dévoiler et où elle peut s’amuser mais sans plus. Son bonheur virtuel est ailleurs et la jeune femme tient à ne pas dépasser un certain seuil de présence sur l’application :
« Du coup comment tu te sens quand t’es sur Insta et quand t’es sur Twitter?
Quand je scrolle sur Twitter, je peux y rester pendant des heures mais sur Insta au bout d’un moment j’en ai marre surtout à cause des pubs et des posts de gens que ne connais pas, plus leurs notifications de tel a posté, un tel fait ci alors que j’ai pas activé la notification, c’est horrible. Mais après il y a des jours où je n’ouvre pas du tout Instagram, pendant une semaine peut-être je ne vais pas l’ouvrir parce j’ai pas envie d’y aller ou alors parce que ça m’intéresse pas, j’ai pas envie de poster, j’ai pas envie de voir les gens »
– Erine

La différenciation avec Twitter et TikTok est beaucoup revenue auprès des personnes interrogées en termes de toxicité ou au contraire de familiarité. D’une personne à l’autre, les ressentis seront différents ainsi que les apports de l’application. Twitter, réseau social très porté sur l’information et l’écriture de soi, incarnererait cette « agora utopique » dans le sens où chacun et chacune peut exposer ses problèmes personnels, moments de sa vie au fil de mots, qui peuvent parfois déranger et heurter. Mais qui dans l’ensemble peuvent faire du bien et parler au plus grand nombre, car des doutes, des peurs ou angoisses existentielles, on en a tous. Twitter contrairement à Instagram peut servir de petit refuge où il est bon d’être « vrai » ou d’être le plus honnête possible et si possible avec vous-mêmes pour commencer. Bien sûr l’application a aussi son taux de toxicité et de superficialité, en promouvant aussi cette aspiration à la réussite surtout sociale et économique, avec un avènement des images et des vidéos, influencé par d’autres réseaux sociaux.
Concernant la différence générationnelle, une autre application revient en force : Facebook. Qualifiée d’application des « vieux », plus de 38% des utilisateurs de Facebook ont 45 ans. En comparaison, l’âge moyen des utilisateurs d’Instagram est de 28 ans et 64% des utilisateurs ont moins de 34 ans. Carla et Rémy tous les deux quarantenaires, ont tous les deux affirmé que leur utilisation de l’application était très partielle et totalement informelle et surtout avec des buts bien ciblés. Rémy lui trouve son bonheur sur Facebook car Instagram ne véhiculerait pas l’information et serait « déconnectée » du réel. Mais Facebook serait son Instagram personnel car au final et d’après son point de vue, Facebook serait toxique. Pour Carla, Instagram est une porte ouverte sur un ensemble de petites découvertes ou de petits moments d’évasion personnels, toujours maîtrisés :
« J’aime Facebook mais j’évite d’être trop trop accro, j’essaie de me détacher quand même un petit peu. Quand tu commences à prendre ça comme un journal intime…Les vrais sujets je préfère les aborder en vrai. Quand je mets une photo où je mange, j’accompagne d’un texte pour taquiner » – Rémy
« De but en blanc, c’est vrai que je suis sur Instagram, mais je ne suis pas régulière. En fait, d’après moi, les personnes de ma génération allons sur Instagram car c’est d’abord c’est un réseau de divertissement. Et puis des fois il y a des choses concernant les personnes de mon âge qui peuvent être plaisantes » – Carla
POUR CONCLURE…
Selon l’âge, le sexe, sa classe sociale ou son vécu, Instagram ne nous procurera pas les mêmes sensations et les attentes diffèreront aussi. De simple application photo à une plateforme aujourd’hui très vidéo et promotionnelle, Instagram qui a presque 15 ans, évolue, ainsi que ses utilisateurs et vers une utilisation plus simple et sereine pour les plus sensibles d’entre eux, n’empiétant pas sur leurs vies non virtuelles. Au final, toxique ou pas, Instagram reste une plateforme de création, de découvertes, où il faut malheureusement trouver sa place à bon escient. Mais surtout, où parfois participer à ce jeu à sa manière et en tirer un maximum d’outils et de compréhension de son exposition de soi. Je conclus en citant une partie intéressante de la fin de notre échange avec M.Stora, pour rappeler la récréation que sont Instagram et tous les réseaux et qu’il faut avant tout ne pas trop se prendre au sérieux ou alors définir sereinement ses propres limites :
« Qu’est-ce que vous pourriez conseiller à des personnes ou jeunes adultes qui se sentent mal, qui ont envie de disparaître ou qui disparaissent des réseaux ?
J’ai envie de dire que s’ils ont l’impression que fermer cette application, l’effacer, provoque je dirais un mal-être tel qui dure, car on peut se dire que c’est comme un deuil, quand on quitte une application. Si ce deuil dure trop longtemps, évidemment qu’il faut aller consulter, parce que ça vient révéler qu’il y a d’autres problèmes derrière. Après j’ai envie de dire d’une manière globale, je ne suis pas pour désinstaller et tout arrêter, les gens font ce qu’ils veulent, laissons les êtres libres de leurs choix, heureusement qu’on a cette possibilité aussi en France et dans d’autres pays démocratiques. Mais ce qui est vrai et c’est que je crois qui est intéressant c’est parfois d’avoir un peu d’humour, un peu de second degré, de se dire que “voilà, ok, on sait que c’est un jeu, parfois un peu pauvre”, parce que le gros problème c’est quand l’enjeu, le “game » l’emporte sur le play. Quand il y a de moins en moins de plaisir et qu’il y a simplement cet enjeu de trouver la bonne vidéo ou d’avoir le plus grand nombre de likes, au bout d’un moment ça devient un peu dangereux pour la santé psychique de la personne »

Et surtout un grand merci à Gwenn pour le soutien tant créatif que mental, qui a cru en ce projet et cette enquête pendant plus de 2 mois ! On se revoit au prochain article !
Lunaticharlie/Charlyze !
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A reblogué ceci sur Kumāstraal.
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