Licorice pizza ou cette zone grise du passage à « l’âge adulte »

Sortie en salles début janvier 2022, Licorice Pizza est le premier film de l’année que je voie au cinéma. Réalisé par l’américain Paul Thomas Anderson (Phantom Thread), le film réunit une pléthore de nouveaux acteurs et actrices de talents mais aussi des acteurs confirmés tels que Bradley Cooper (dans un rôle plus que déjanté) ou Sean Penn. Dans la lignée de la nouvelle vague de films indépendants des années 2010 tels que The Pretty One (2013) ou The Longest week (2014), films ayant forgé ma culture cinématographique, Licorice Pizza est une belle claque qui mérite qu’on s’y attarde le temps d’un article.

Alana ou comment devenir adulte ?

Alana jouée par Alana Haim. Source : Google Images

Il y a un personnage qui m’intéresse dans le film et c’est celui d’Alana. En plus d’être une très bonne artiste avec son groupe Haïm, composées de ses deux autres soeurs (jouant leurs propres rôles dans le film), Alana Haïm a réussi à interpréter ce rôle pleins de contradictions. Le personnage d’Alana me parle personnellement pour sa complexité. Non loin d’être éphébophile ou capable de sortir avec un garçon de 10 ans mon cadet, le personnage d’Alana définit pour moi cette zone grise qu’est d’être jeune. Ni un.e. adulte affirmé.e., ni un.e adolescent.e, la vingtaine est au fil des décennies une période sociologique, économique et psychologique de plus en plus intense, avec des critères qui lui sont propres et où les jeunes adultes naviguent entre plusieurs mondes. En sociologie, l’adolescence s’arrêterait maintenant à l’âge de 24 ans. Mais il semble que la volonté de se trouver pleinement dans ce monde intervient souvent au début de l’âge adulte.

Alana est en quelques sortes enfermée dans ce flou sociologique, mi ado mi adulte. On verra au cours du fil son évolution et voyage initiatique, une jeune fille paumée, en quête d’un avenir voire même d’un présent, ayant peur des responsabilités mais tentant tout de même de construire sa vie de jeune femme. Ce qui est d’autant plus intéressant dans son personnage est qu’Alana peut tout à fait avoir l’air d’une adolescente sur le plan physique. Le reflet de son âge et de son corps sont malheureusement évoqués par les hommes du film, qui serviront d’épreuves et de défis à la jeune fille pour se tester et en quelques sortes affronter un monde plutôt bien ancré, celui du patriarcat et de la misogynie. Cadette étouffée par ses parents, admirative de ses grandes soeurs déjà bien établies dans leurs vies respectives, Alana trouvera d’abord refuge dans le monde des ados, un univers qu’elle a quittée il n’y a pas si longtemps. Mais elle se rendra compte que sa place est autre part. En côtoyant ces adolescents surtout masculins mais aussi des hommes plus âgés, Alana prendra conscience d’elle même et que tôt ou tard elle devra s’affirmer, trouver sa voie et embrasser sa vie sur tous les plans professionnel, amical et amoureux. Mais surtout le personnage d’Alana parlera aux 18-30 ans et notamment aux femmes, cette catégorie qui en sociologie est connue comme étant celle des jeunes adultes.

Un transfert d’identités

Cooper et Alana. Source : Google Images

Le film prend lieu dans les années 70 mais pourtant ce sentiment d’appartenance entre deux mondes est tout aussi palpable en 2022. La fin du film est une ode au choix et la liberté. Je ne cautionne pas réellement l’histoire d’amour du film, mais s’il s’agit pour moi de la rencontre de jeunes personnages avec des vies différentes et pourtant voulant arriver au même point : être heureux et en accord avec eux-mêmes. On assiste dans le film à un échange où Alana se rêve à nouveau adolescente, comme un syndrome de Peter Pan et Cooper qui se rêve adulte pour charmer une jeune adulte elle même cherchant à atteindre le monde des grands, afin de mieux la dompter et lui convenir. Cooper est peut être même plus adulte qu’elle sur certains points. Le jeune homme a été responsabilisé tres jeune et a grandi dans le monde du spectacle. Mais le film démontre qu’il reste tout de même un enfant tentant de se découvrir et s’amuser. On constate qu’Alana voit d’abord en Cooper une personne « mâture »ou l’idée qu’elle se fait d’un homme selon ses critères. Reste encore à savoir ce que c’est vraiment d’être adulte en 1973 et 2022. Entre des normes sociales plus que fragiles et tangibles, Licorice Pizza rappelle que l’on peut se réinventer à n’importe quel âge et époque. Mais surtout, qu’aucune norme et aucun critère social ne doit nous conditionner. Seul le temps et les expériences aussi douloureuses ou belles qu’elles soient, pourront faire de nous des êtres, femmes et hommes conscients et en accord avec nous mêmes.

Un film éclatant, prenant compte des réalités et à la cinématographie incroyable

Enfin, les forces principales du film restent sa cinématographie et son réalisme. Le film rend pleinement hommage à une certaine candeur souvent vue au cinéma des années 70, pour une Amérique blanche aisée et de classe moyenne. Tendre et acide à la fois, le film est riche en couleurs claires mais aussi joviales, donnant totalement envie aux spectateurs de vivre à l’intérieur (ou du moins c’était mon ressenti). Les musiques du film, toutes d’époque, amplifiaient les scènes d’euphorie ou tristesse et d’éveil sans forcer. Licorice Pizza est clairement un film haut en musiques et styles. Les images et le casting correspondent, tout comme les tenues ou même les coiffures. Sans vouloir se conformer, le film a un naturel déconcertant prenant en compte les thématiques économiques et réelles de l’histoire américaines (élections locales ou choc pétrolier de 1973). Enfin, le film renvoie à une fraîcheur des années 70, où les corps, les arts et l’économie étaient les maîtres de la liberté individuelle. Et où n’importe qui se pouvait de rêver et s’accomplir, dans une Amérique à son paroxysme en terme de soft power et affirmant ses identités culturelles comme le film le démontre. Des ados faisant vraiment leurs âges aux voitures et mobiliers, Licorice Pizza est un délicieux voyage dans le temps, qui nous transporte loin de nos quotidiens.

Pour finir Licorice Pizza est un film jonglant sur les interdits avec brio. Totalement representatif d’un microcosme, le film perd peut-être en réalisme en ne demontrant pas assez une Amerique plurielle et métissée à part lors de moments plutôt racistes (notamment envers la communauté americano- japonaise). Licorice Pizza aborde toutefois un sujet universel qu’est la découverte de soi et l’établissement de sa personnalité, sa vie professionnelle et sa sexualité, Licorice Pizza est la rencontre de deux mondes pourtant pas si lointains. Le film nous refait penser les déterminismes et normes socioculturelles, qui sont typiques de chaque époque, des acquis du passé aujourd’hui interdits et répréhendés aujourd’hui. Licorice Pizza confronte enfin un passé et un présent où les moeurs et a priori se conjuguent et se répondent, nous faisant comprendre que les mentalités bougent difficilement quand on parle de sexe, orientation ou racisme.

Source : Google Images

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Lunaticharlie.

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