
Le livre « Afrofuturism : the world of black sci-fi and fantasy culture » par l’écrivaine et scénariste américaine Ytasha.L.Womack est un superbe répertoire historique de l’Afrofuturisme. Publié en 2013, le livre fait près de 200 pages relie et retrace avec brio, en 12 chapitres l’essence de ce courant littéraire, musical et artistique né au 20 siècle.
QU’EST CE QUE L’AFROFUTURISME ?

L‘Afrofuturisme se répand culturellement dans les années 90 mais naît réellement dans les années 50/60. Comme l’explique Ytasha.L.Womack, l’un des précurseurs du courant est le musicien américain grandiose et légendaire Sun Ra. L’Afrofuturisme a comme volonté de trancher et libérer les personnes noires et donc afrodescendantes de leur présent et de les retranscrire dans un futur plus positif. L’Afrofuturisme mêle politique, magie, religion, mysticisme, surtout, nouvelles technologies et énormément du monde spatial et extraterrestre. L’un des exemples primaires le plus connu reste le comic Marvel et maintenant film, Black Panther (2018). L’Afrofuturisme concentre en lui même plusieurs courants artistiques d’époques et d’origines différentes. Dans son livre, Ytasha.L.Womack écrivaine américaine de Chicago nous démontre son influence, ses enjeux et surtout l’outil libérateur qu’il est et qu’il peut être. Ce livre que j’ai lu en anglais a été une belle découverte. Il a mis le curseur sur des évènements ou personnalités artistiques que je connaissais déjà et que je n’avais jamais assimilé à ce courant, un courant plus hétérogène que je le pensais. L’ouvrage est essentiel et presque pédagogue. Après mon article sur le livre Dawn (1987) d‘Octavia Butler, il m’était réellement nécessaire de lire plus sur ce courant fabuleux. Dans cet article je reviens sur des parties et chapitres phares du livre.
ANALYSE DU LIVRE
Le livre est tout simplement une encyclopédie concentrée en 200 pages. Divisé en 12 chapitres, chaque partie est différente de l’autre mais elles se complètent toutes. Le premier chapitre nommé « Evolution of a Space Cadet » pointe du doigt les influences de ce courant récent mais pourtant déjà très riche et fondamental. De la saga Matrix avec la place divine de l’Oracle incarnée par une femme noire, l’auteure rappelle que pendant des décennies et même des siècles, les personnes noires ont peu ou pas été au centre de l’histoire de la science et de la technologie, même quand elles ont aussi créé et inventée comme leurs confrères blancs et européens. Le livre tacle les clichés des personnes noires dans les films de science de fiction ou supernaturels. Des clichés allant du white savior au concept de magical negro ou même à la mort prématurée et souvent risible du personnage noir. Il donne la parole à des intellectuels, cinéastes, musiciens noirs américains et africains, qui ont transcendé le monde de la culture et du spectacle. Comme l’a si bien dit l’artiste américaine Melorra Green, interrogée dans le livre qui dit, je cite : « Afrofuturism unchains the mind« . L’Afrofuturisme libère les personnes noires de manière immatérielle et créative, ouvrant des cases dans lesquelles elles ont trop longtemps été enfermées.
Le chapitre 2 nommé « a human fairy tale named black » nous remémorre les douloureuses traces du racisme biologique, racialisme et de la ségrégation. Ou tout simplement, la dévaluation des personnes noires dans la science sur les plans physiques et cognitifs. Pendant longtemps pour être considéré comme une personne libre de droit et de pensée, il fallait être blanc et surtout être un homme blanc. L’Afrofuturisme permet de contre balancer un passé étouffant, acide et inégalitaire. L’écrivaine parle d’aliénation, cette pulsion étrange à détester l’autre, pour ces attributs physiques, son apparence, pour sa culture. Le chapitre 2 questionne la place biologiqiue et sociologique du racisme et la destruction de plusieurs communautés notamment au XXème siècle du Rwanda à la Yougoslavie à l’Amérique Latine. Le livre met en exergue la multitude de possiblités liées au fait d’être un humain. Et surtout interroge sur ce qu’est réellement un être humain. Cette dénomination est subjective selon la culture et l’endroit (ontologie).
Enfin, le chapitre 2 nous projette déjà dans ce transhumanisme qui est aujourd’hui plus qu’intéressant d’aborder. On le retrouve dans maintes et maintes oeuvres télévisuelles et cinématographiques. De la série Britannique Years and Years à la série américaine WestWorld. Comme le déclare l’écrivaine « being human as we understand it today could evolve with new technologies ». Les nouvelles technologies sont actuellement indispensables à l’Homme et son évolution. Elles en viennent même à nous dépasser, laissant l’humanité parfois loin derrière. Après des siècles exclus de cette notion d’évolution car vus comme non humains et quasi aliens, l’Afrofuturisme permet aux personnes noires de se projetter, de recentrer l’histoire humaine future sur la place des personnes afrodescentes dans cet avènement de la technologie. Mais malgré les époques où le racisme et le racialisme primaient, les personnes noires, afrodescendantes et africaines n’ont jamais cessé d’explorer l’espace et d’aborder culturellement la technologie et les sciences. Le livre rappelle le cas de l’expérience de Tuskagee, expérience opérée de manière cruelle et surtout illégale au dépend de 200 personnes afro-américaines atteintes de la syphillis et qui au lieu d’être soignées, ont été utilisées comme cobayes pour comprendre les effets de la maladie.
Image de l’artiste Sun Ra Image de l’artiste Janelle Monaé
De Sun Ra à Lil Wayne en passant par Janelle Monáe avec ses premiers opus dont The ArchAndroid, l’imagination et la curiosité ont donné naissance à des personnalités noires maintenant fondatrices de mouvements artistiques. Le chapitre 4 le démontre. Nommé « Mothership in the keys of Mars », il est entièrement consacré à des personnalités afrofuturistes dont le statut a parfois été défini après leurs morts. Le chapitre 4 est un réel rappel à l’ordre. L’écrivaine y met Sun Ra, pionnier du jazz moderne, comme fondateur essentiel. Sun Ra né Herman Poole Blount, se définissait déjà comme un extraterrestre dans les années 50. Totalement en phase avec sa musique céleste, son penchant pour le monde mystique et métaphysique, son allure et ses représentations sont la preuve que le musicien était un précurseur. Il a donné la voix/voie à une multitude d’artistes le succédant comme le visionnaire des Black Eyed Peas, Will.I.Am. Le musicien Leon Q Allen déclare dans ce chapitre que la musique afrofuturiste est une musique qui pousse et va à l’encontre des normes et standards de nos cultures actuelles. Cette partie est un peu questionnable sur le plan anthropologique. De quelles cultures parle-t-il? La science est avec le temps déconstruite et on se rend compte qu’elle a de multiples fois été réinventée par des personnes noires. Cette exclamation fait intervenir les rapports culturels Nord Sud. Ce qui est musicalement appréciable pour nous occidentaux ou occidentalisés le sera moins pour un groupe de Papouasie Nouvelle Guinée par exemple (musiques dîtes dissonantes extra-européennes vs musiques occidentales). Les arrangements instrumentaux restent une affaire de cultures et d’habitus harmoniques. La musicologie reste une science occidentale, où l’on apprend les musiques des autres sous le joug d’un prisme européen. Au final « l’autre » avec sa musique dissonante est peut être plus avancé que nous, il comprend ce que l’on ne perçoit. Dans ce sens, M.Allen voulait peut être dire que les musiques afrofuturistes vont plus loin que ce qui est connu musicalement à l’échelle planétaire.
En dehors de cet aparté, le chapitre 4 affirme que l’Afrofuturisme n’a pas comme but suprême de s’imaginer dans le futur. Il rend compte de personnes présentes ou passées qui défiaient les normes et cases qui leur étaient attribuées. Le légendaire Jimmi Hendrix est considéré comme un Afrofuturiste musical, il allait à l’encontre de ce qui était attendu de lui musicalement et sociologiquement. Mais Sun Ra reste l’étoile invétérée de l’Afrofuturisme. Ce monsieur d’Alabama, dont le nom provient de la divinité du soleil égyptienne antique a bouleversé la musique occidentale avec sa musique astrale et presque salvatrice. Sun Ra a donné le « la » a des groupes de funk mythiques comme Parliament et Funkadelic, dont George Clinton en était l’acteur principal.
Image de l’album « Mothership Collection » de Parliament Image de l’album « Scanding on the verge of getting on » de Funkadelic
Les deux groupes sont connus pour leurs musiques intergalactiques et surtout psychédéliques. L’Afrofuturisme prend une réelle ampleur dans la musique grâce à des artistes emblématiques, qui ont cassé les codes et genres.
Plus on avance dans le livre et plus on prend conscience de ce qu’est vraiment l’Afrofuturisme. Et le chapitre qui m’a réllement émerveillé est le chapitre 5 nommé « The African Cosmos for Modern mermaids ». Ce chapitre va plus loin, il prend la forme d’une véritable enquête historique et ethnologique. L’autrice rentre dans le vif du sujet et repart vers les véritbales sources d’inspirations de ce courant, les multipes cultures africaines. Des intellectuels et figures cosmologiques africaines et africains sont interrogés sur l’influence primaire du continent et de ce qu’on pourrait appeler une essence naturelle des cultures africaines ancestrales pour l’astronomie et l’espace. De l’Égypte Antique et la civilisation nubienne avec leur aversion et leur maîtrise totale de l’observation des étoiles et du ciel. Les deux civilisations ont plus en commun que l’on ne le pense. En passant par le Royaume des Dogons (Mali) qui étudiait le ciel bien avant sans « intervention » occidentale. Le chapitre 5 dévoile cet absurde mais tendancieux racialisme culturel à l’encontre des cultures africaines. Les Dogons du Mali déchiffraient le système astral de Sirius sans aucun outil technologique moderne. De par leur cosmogonie, les Dogons comme beaucoup de civilisations africaines antiques entretenaient le mythe de Mami Wata ou Dieu d’Eau, des sirènes avec les Nommos. Le mythe de Mami Wata est très populaire notamment chez les artistes féminines comme Azealia Banks comme le signifie l’auteure. C’est lors de l’expédition Dakar-Djibouti (1931-1935) des anthrolopologues français Marcel Griaule et Germaine Dieterlen chez les Dogons dans les années 30 que la lumière fut mise internationalement sur la maîtrise millénaire des Dogons en astronomie.
Après le terrain des deux anthropologues chez les Dogons, le monde scientifique occidental n’a pas accepté leurs dires. Le livre ne met aucune barrière culturelle et chronologique a pioché dans ce qu’il y a de plus lointain dans les prémices de l’Afrofuturisme. Les cultures africaines du Nord au Sud étaient en clin au mysticisme et surtout au monde astral. L’imagination des personnes noires et afrodescendantes actuelles a bel et bien des racines plus vieilles souvent historiquement occultées et/ou oubliées. Du chapitre 6 nommé « The divine feminine in space » qui se focalise sur la place des femmes noires dans le monde de la science fiction dans le champ audiovisuel avec notamment l’apparition de Nichelle Nichols dans la série Star Trek inteprétant Nyota Uhura. Nichelle Nichols fut l’une des premières femmes noires a joué dans une série de science fiction et ce, dans les années 60. Le chapitre 7 illumine la lecture de ce livre, avec la découverte d’une partie peu abordée de la bibliographie du militant, sociologue et écrivain américain W.E.B Du Bois. M.Du Bois a en 1920 écrit une nouvelle allant à l’opposé de ce tout ce qu’il écrivait. « The Comet » publiée en 1920, est une nouvelle surréaliste et clairement afrofuturiste. Elle mêle dystopie, racisme et apocalypse, elle était en avance sur son temps. Le chapitre 9 arborre la douleur que peut causer ces voyages dans le temps car penser au futur n’empêche pas de diluer les horreurs du passé. L’esclavage et la traite négrière sont toujours des sources actuelles de souffrance et dont les enfants monstrueux sont encore en vie comme le racisme et le colorisme).
Le chapitre 9 nommé « A clock for time travellers » nous remémorre que l’Afrofuturisme est aussi un outil politique et presque cathartique et philosophique. Les afro-américains ont pendant dans siècles été soumis et relégués au rang de semi individus. Ce qui maintenait souvent le moral et surtout leur santé mentale était l’espoir. Le chapitre 9 démontre que pour beaucoup d’afro américains l’espoir était indispensable dans leur culture. Cet espoir cristallise la passion et a permis de surmonter bien des moments historiques catastrophiques. L’ancien président américain Barack Obama a temporairement incarné cet espoir, en utlisant le mot « hope » dans sa campagne de 2008. Comme l’explique Morgan Craft, pour un afro-américain qui n’a jamais quitté les États Unis, l’Afrique est symbole de futur. Et cette déclaration symbolise grandement le livre et le mouvement. Pendant des siècles le continent africain fut relégué et oublié de l’histoire mondiale. Néanmoins il est pour des millions de personnes une Terre Promise et sacrée. Vision candide ou divine des choses ou pas, le continent africain a donné naissance à l’humanité et se trouve en bonne place pour la booster et initier les modes et cultures de demain. Le livre finit sur des chapitres catalyseurs de tout ce qui a été dit.
J’ai découvert tellement de trésors culturels dans ce livre comme le mouvement Afro Surreal (afro surréaliste). Utilisé pour la première fois en 1974 par l’écrivain et poète Amiri Bakara pour décrire les oeuvres d’Henry Dumas. Une fois encore, le livre met le doigt sur des concepts auxquels je pensais sans savoir qu’ils pouvaient être qualifiés. L’Afro Surreal c’est les steams punks, c’est baroque et déjanté, c’est la décadence culturelle des années folles, à son paroxysme. Tirant son essence du mouvement central de la Négritude ou encore du Harlem Renaissance. Pendant cette période de l’après-guerre, les personnes noires du continent aux Etats Unis ne bénéficiaient pas de ces privilèges de légèreté culturelle. L’Afro Surreal c’est le magnifique et fantasmagorique film Sorry To Bother You (2019) ou encore le film The Burial of Kojo (2019), deux films qui mélangent des personnes noires, dans un contexte historique souvent actuel ou très récent, face à des protagonistes angoissants et compromettant leurs vies, des protagonistes simplement surnaturels ou fantastiques qui personnifient des menaces réelles. À la croisée de plusieurs mondes, l’Afro Surreal se veut successeur ou digne parent de l’Afrofuturisme. Mais l’Afro Surrealisme se veut libérateur pour les personnes noires, dans le présent.
Image issue du film « Sorry To Bother You » Image issue du film « The Burial Of Kojo »
Le livre se termine sur l’affirmation de cette volonté de changer les choses avec un chapitre 11 nommé « Agent Change » plus ancré dans le réel et l’affirmation de soi et pousse les communautés noires américaines à agir. L’auteure Adrienne Maree Brown vient siginifier ce moment socio-politique important du livre, je cite : « as far as brown is concerned, many abandoned urban communities are postpapocalyptic in nature (..) if you look at cities in the US right now, there are cities or communities in apocalyptic situations. New York, New Orleans in the aftermath of Katrina, Cincinnati and her new home Detroit ». L’activiste affirme que malgré ces villes abandonnées, souvent des anciens berceaux culturels des communautés afro américaines, un espoir peut et doit en émaner. C’est malheureusment le mojo des personnes afro-américaines, trouver dans les périodes sombres et les plus dures des sources de lumières qui réaniment les causes. La littérature, la musique et la culture doivent pousser les afro américains et les personnes noires du monde entier et les Africains à se penser maintenant et dans un futur proche. Il faut se réappropier le présent pour pouvoir s’affirmer dans l’avenir. L’avenir est quelque chose d’incertain et donc, un flux un mouvement qui n’appartient encore à personne mais qu’à soi même et nous même. Il faut le définir à notre manière, pour qu’il nous ressemble et ne soit pas un poids mais un symbole de liberté.
Le livre « Afrofuturism : The World of Black Sci-Fi And Fantasy Culture » est une oeuvre que je recommande à tous et toutes. Il permet de mieux appréhender les oeuvres culturelles actuelles tournant autour des personnes noires. Je pense tout bonnement à la très récente série LoveCraft Country qui peut être s’apparenter à l’Afro Surreal ou encore à la série Watchmen (2019) dérivée du film sorti en 2009. Sur le plan musical, des dizaines d’artistes me viennent en tête de Solange, Busta Rhymes et Missy Elliott dans les années 90 à Kaytranada ou encore au duo féminin OSHUN ou même à la chanteuse Kelis. L’Afrofuturisme prime surtout aujourd’hui dans les arts visuels de la peinture à la photographie. Il répond finalement bien à son appel d’outil futuriste et libérateur artistique de personnes noires et afrodescendantes plurielles.
Images utilisées : Pinterest.
Lunaticharlie.
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