La série britannique sortie en 2019 sur les écrans anglais et américains courant printemps et été 2019 sur la chaîne anglaise BBC et la chaîne américaine HBO, est une belle claque télévisuelle. Créée par le producteur gallois, Rusell.T.Davies (créateur des séries Queer as Folk et Torchwood), la mini série se déroule en Angleterre, précisément à Manchester, met en fiction une famille anglaise métisse et progressiste, qu’on suit pendant 6 épisodes d’environ une heure chacun, son évolution interne et chronologique ainsi que celle de la société et du monde entier. Entre guerres, bouleversements politiques et économiques, la série fait le portrait d’un futur proche apocalyptique sur tous les plans.
MISE EN ABIME


Les Lyons sont une famille unie. Regroupant trois générations de la grand mère aux petits enfants. La famille a en son sein des personnes atypiques et vues comme « différentes ». Les enfants de la seconde génération, les adultes qui sont dans leurs trentaine et quarantaine sont 4 : Edith (jouée par l’actrice Jessica Hynes), Rosie (jouée par Ruth Madeley), Stephen (joué par Rory Kinnear) et Daniel (joué par Russell Tovey). Edith est une militante chevronnée qui a pendant très longtemps pas fait partie du tableau familial. Rosie est une handicapée physique, paralysée des jambes, avec une forte personnalité, elle a deux enfants dont un enfant adopté asexué. Stephen est le père de famille du cadre photo qu’on achète dans un magasin de meuble, boulot parfait dans la finance, bien payé, superbe maison, il est marié à Céleste Bysme (jouée par Tnia Miller), une femme noire tout aussi à l’aise financièrement et professionnellement. Ils ont ensemble deux filles Bethany Bisme-Lyons (jouée par Lydia West) et Ruby Bisme Lyons (jouée par Jade Alleyne). Ils constituent socialement la famille parfaite moderne. Daniel, est un homme dans sa trentaine, gay et marié. Et enfin, la matriarche Muriel (jouée par Anna Reid), vit seule dans un premier temps, dans la maison familiale. Les 4 adultes ont tous des vies bien entamées, sans saveur.
Au premier abord, ils semblent subir leurs vies. Le Brexit sévit et le monde entier est en éruption, comme aujourd’hui. On est en pleine élections britanniques et la Donald Trump du pays est Vivienne Rook (jouée par l’excellente Emma Thompson). Nous sommes alors en 2019. Le climat familial change lorsque l’aînée engagée Edith est témoin de l’explosion d’une bombe nucléaire sur une île Sud asiatique. Elle revient en Angleterre d’urgence et ment à sa famille disant n’avoir pas subi les effets chimiques de la bombe. Au même moment, Daniel travaillant dans le social, s’occupe du cas de Viktor Goraya (joué par Max Baldry), jeune réfugié Ukrainien dont il tombe amoureux. Avec son couple qui bat de l’aile, il trompe son compagnon et mettra fin à l’heure histoire. La famille est quelque peu bouleversée par ces changements mais le principal basculement est l’annonce d’une crise financière sans précédant.
Stephen le père de famille modèle perd près d’1 million de livres sterling et sombre dans la faillite financière et mentale. Sa famille se retrouve avec quelques restes mais c’est le début des problèmes. Viktor et Daniel se battent pour la sauvegarde de leur couple et des réfugiés anglais mais perdent le combat. Viktor sera amené à repartir dans son pays d’origine et se verra malmener de pays en pays européens pour revenir. Daniel fera tout pour le ramener.
LES ENJEUX FAMILIAUX ET SOCIÉTAUX

La série va au fil des années partir en lambeaux. À chaque épisode, nous avons droit à ces célébrations annuelles et à des alertes télévisuelles, des sortes de mix de chaînes d’informations aux annonces horribles, annonçant les mauvaises nouvelles du jour ou tout simplement les mauvaises nouvelles tout court car rien ne semble bien aller dans ce monde. Ces petits rappels situationnels sont toxiques et angoissants. Ils rappellent aux spectateurs le contexte et la forme télévisuelle, médiatique et donc politique de la planète. Ces images quotidiennes sont les seuls points d’ancrage avec la réalité, la télé est le seul canal d’information important. On voit rarement les personnages s’informer autrement. Avec le temps, le monde se cristallise et les régimes politiques extrêmes l’emportent. C’est le cas en Angleterre où Vivienne Rook gagnent les élections. Vivienne est le pantin politique parfait. Une Donald Trump au féminin, avec ses idées xénophobes qu’elle qualifie de protectionnistes, elle gagne le coeur des anglais grâce à sa personnalité et son charisme. Forte et fière, elle joue la carte du populisme. Plus le temps passe et plus l’Angleterre sombre dans la crise financière et surtout sociale.
Ce qui m’a le plus étonné est que les Lyons étaient bien sûrs impactés par les multiples couches de problèmes pesants sur eux. On pourrait croire que les problèmes globaux affecteraient plus leurs vies mais au final, dans Years and Years, l’individu s’inflige ses propres problèmes. Stephen après avoir fait perdre toutes ses ressources financières, se retrouve à cumuler des jobs minables et devient le mari exécrable. Il en va à tromper sa femme avec une connaissance. Edith mène toujours sa bataille contre le système et surtout Vivienne Rook. Mais le plus grand combat reste celui de Daniel, qui tentera le tout pour le tout en traversant la Manche avec Viktor pour rejoindre définitivement l’Angleterre. Daniel arrivera bien sur les rivages anglais mais mort.
Seul Viktor survivra à cette traversée cauchemardesque. Je ne critique pas leurs choix, mais les membres de la famille Lyons font tout pour s’en sortir mais finissent par créer de nouveaux problèmes, autres que les problèmes globaux. Il en va du dessein individuel et non de problèmes de grande portée. Years and Years nous montrent que l’être humain est incorrigible et instable.
LA PLACE DE LA TECHNOLOGIE

Le principal marqueur de la série sont les nouvelles technologiques. Dès le début, le monde est digital et avance vers des sociétés transhumaines. L’aînée de Stephen et Céleste, Bethany est au premier abord une ado perturbée. Elle a comme rêve d’abandonner son corps à l’informatique, elle veut se télécharger ou transformer des parties de son corps en objets électroniques, chose qu’elle arrivera à faire. Dans Years and Years, tout comme dans la série britannique Black Mirror que j’affectionne, nous sommes face à cette ambivalence des séries anglaises. Un microcosme spatial qui subit des macros problèmes. Les problèmes surviennent et d’un coup, le destin bascule et prend une ampleur inconsiderable. On passe d’une famille ordinaire à un autre univers. On se rend compte que les technologies avancent mais pas les humains, les humains sont en déclin. Les sociétés se renferment dans l’autarcie, le monde économique est en chute libre et sans compter les sphères sociales et culturelles. Les hommes survivent tandis que les appareils ou les gadgets prospèrent.
La technologie dépasse l’humanité. Les technologies créées pour améliorer leurs vies, ne sont servies que dans des usages limites ou toxiques. Dans les deux séries, les humains paient le prix de ce qu’ils n’ont pas pu contrôler intérieurement : leurs envies et leurs pulsions. Les nouvelles technologies sont d’abord créées par les Hommes, pour les Hommes, si elles sont mauvaises c’est que les Hommes le sont. Souvent considérées comme une menace, elles le sont selon qui les utilisent. Tout comme aujourd’hui. Dans la série les technologies sont totalement acceptées, le téléphone est même obsolète tout est dans l’air. Bethany l’a compris. Elle pensait le futur alors que sa famille ne faisait que s’enfoncer. Dessinée comme une ado irrationnelle, elle finira par être le moteur de la famille grâce à son corps transformé. Mi humaine mi machine, elle a réussi à cristalliser le monde humain et le monde technologique, elle comprend les deux et a su s’adapter. Elle finira par sauver la famille.
LES ENJEUX FINAUX



Years and Years est un nouvel exemple fictionnel et télévisuel du cynisme humain et des blessures que les Hommes s’infligent. Comme le serpent qui se mord la queue, en 15 ans, la famille Lyons peine à survivre. Des combats sont menés et ce sont souvent les femmes qui relèvent le niveau de la série. Au final, la série guide le spectateur vers des solutions alternatives (l’altermondialisme) et met en avant la force des femmes et le féminisme. Moderne et progressiste, elle nous montre que la télévision est toujours l’un des poisons de notre société, les chaînes d’informations, comme en ce moment en confinement, ne sont que des catalyseurs figeant les problèmes : en tant que citoyens on les voit mais nous sommes impuissants face à l’information. Le point positif est que la technologie à la fin de la série est utilisée de manière utile et éthique : Edith l’aînée mène une action contre des camps de concentration de réfugiés et démantèle les stratégies de Vivienne Rook.
Grâce à Bethany, le scandale éclate, mais un autre pantin est remis sur le devant de la scène. La série prône la pensée individuelle mais l’action collective, deux choses qui d’un point de vue sémiotique peuvent se contredire mais qui impliquent la réflexion avant l’action. Stephen l’homme présenté comme rationnel et parfait nous montre son vrai visage et s’avère imparfait en terme de situation de crise. L’image de l’homme fort blanc est brisée, au moindre faut pas il flanche et se laisse submerger. C’est au final le seul personnage qui vrille et qui ne fait que reculer quand toutes les femmes de la famille avancent. Enfin la mort de Daniel m’a choqué mais ici encore il a mis en péril deux vies pour le bien de « l’amour », il a eu raison de se battre mais comme un tsunami, certaines choses sont trop dures à surmonter. On peut le qualifier de presque héros mais au final Viktor sera blâmé pour sa mort et portera à nouveau les stigmates du réfugié et de son bagage « inné » de problèmes qu’il trimballe.

Years and Years nous renvoie en pleine face notre inaction face aux situations ambiantes empoisonnant nos vies. Et enfin la série nous propose de se concentrer sur la réalité et non sur la frivolité. Elle est juste, politique et consciencieuse.
Lunaticharlie.
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