Il y a environ deux ans, l’acteur Cole Sprouse postait une photo du film sur son compte Insta. J’ai perdu le titre du film entre temps et l’acteur l’a supprimé de son compte (oui j’ai cherché), mais l’image n’a jamais quitté mon esprit. Hier grâce à la bonté aléatoire de Pinterest, la photo en question est revenue sur mon fil d’idées. Et j’ai enfin pu voir ce magnifique film. Le film sorti en 1995 et réalisé par le célèbre réalisateur Hongkongais Wong Kar-Wai, est un tourbillon d’univers et d’émotions. Le film est considéré comme un classique du cinéma asiatique des années 90 et ce titre est tout à fait légitime. Fallen Angels est une oeuvre spéciale et atypique. Voyons comment.
POUR COMMENCER…


Le film prend place à HongKong. Le film commence avec deux personnes, cet homme et cette femme assis l’un à côté de l’autre, sans se regarder. Ils seraient partenaires. C’est la première fois qu’ils se rencontrent enfin après des années de collaboration. Cette scène en noir et blanc accroche tout de suite l’attention et donne un effet dramatique. Il s’agit d’un adieu, d’une rupture. Est-ce une histoire d’amour ou juste des partenaires de business? L’ambiguité est réelle. On apprend par la suite que cet homme se nomme Wong-Chi Ming et que cette femme n’a pas de nom (durant tout le film). Wong est un tueur à gage et cette femme, sa partenaire est sa femme de ménage. Tous les jours, elle vient nettoyer sa petite chambre. Elle est au courant de l’activité de son « partenaire » et il le sait. Il laisse souvent des indices sur ses lieux préférés qu’il fréquente et elle, totalement entichée, se laisse jouer. Leur relation n’est ni de l’amour ni de la passion, elle est indescriptible mais on ressent de l’attachement des deux côtés. Wong est un solitaire. Il ne veut ni attache sentimentale, amicale comme amoureuse, son travail lui en empêche. Avec sa veste en cuir noir et sa coiffure bol et à frange, il est énigmatique, à mi chemin entre Blade et Neo pour le charisme.
La partenaire de Wong vit seule dans une petite chambre, rouge et chaleureuse. Elle est assez énigmatique. On voit rarement ses yeux. Elle est objectivement belle, futée et élancée. A se demander pourquoi elle vit cette vie.
De l’autre côté, le film nous présente une autre histoire, celle d’He Whizu (joué par l’acteur japonais Takeshi Kaneshiro). He est un jeune homme très drôle et sympa. Son passe-temps : s’approprier les magasins de personnes quelconques grâce à l’usage sympathique de la menace ou racketter des personnes, au quotidien. Il appelle ça le business, la survie. He vit avec son père et sa mère est absente du tableau. He se dit mentalement limité, simple d’esprit. Il aspire a une vie belle où il serait à l’aise. Un soir, il distribue des affiches dans un restaurant et tombe sur une jeune femme au téléphone. Il s’agit de Cherry. Ce n’est pas la première fois qu’ils se rencontrent et à chaque fois Cherry a une nouvelle mésaventure téléphonique. Pendant quelques jours, ils se baladent, passent du temps ensemble mais Cherry ne se remet pas de son ancien copain et un soir, elle ne vient tout simplement pas à un énième rendez vous avec He. Voici si on peut ainsi dire les tableaux que le film nous présente : plusieurs adultes ensembles et tout aussi seuls dans cette grande ville qu’est Hong Kong.
LA PHILOSOPHIE ET L’EXISTENTIALISME DU FILM

Ces quatre personnages principaux dans la vingtaine, sont souvent interrompus sur leurs chemins par des inconnu(e)s. Mais Wong-Chi, la femme de ménage et He sont les plus présents dans l’histoire. Le film met bien l’accent sur son aspect réaliste et philosophique, c’est un film à mi chemin avec le documentaire ethnographique (le film m’a rappelé les magnifiques films du cinéaste et ethnologue français Jean Rouch). Hong Kong est ce laboratoire social, cette ville complexe et chaude, où ta vie peut être bouleversée ou s’arrêter à n’importe quel moment. Les personnages se présentent à nous, comme quand on écrit dans son journal intime, pour annoncer la couleur et notre propriété symbolique sur l’objet et ici l’objet est la caméra, le film en lui même. La caméra est elle même un personnage à part. Elle filme au plus près, enregistre les moments les plus intimes, heureux ou malheureux. Elle ne triche pas ou censure pas. Le réalisateur a adopté cet effet « fisheye » de distorsion, comme si on voyait le film au travers d’une caméra de surveillance ou un trou de serrure. Cet effet d’optique confère vraiment une intimité visuelle. Cette caméra est leur ami invisible. Les personnages sont dans cette immense mégalopole et ont l’air si seuls. À la recherche de ce ou cette partenaire, leur vies ne semblent avoir peu de reliefs. Même Wong le tueur à gage vit dans cette monotonie. Il le dit lui même, sa vie ne dépend pas de lui mais des autres. La femme de ménage vit dans une sorte de ghetto, seule, sa seule excitation, est la vie de son partenaire. Dehors, elle se ballade et marche dans le métro comme une ombre, un fantôme. He voit en Cherry une once d’espoir, une lueur, un changement. Mais le film nous le montre si bien, tout le monde part un jour, Hong Kong est une ville vivante et mouvante. Au final aucun des personnages ne semble heureux, ils subissent la vie. Ils tourbillonnent en vain à la recherche de cette étoile qu’est l’amour.
La première scène du film qui nous révèle l’ambiguité des partenaires est un élément essentiel du film. Cette scène de rupture marque le film. Les deux partenaires et surtout Wong décident d’arrêter leur collaboration. Cette rupture scelle le peu de contact social qu’ils entretenaient et marque la victoire de la solitude. Wong se fera tuer lors d’une énième mission. He reverra Cherry un jour dans un de ses tantièmes magasins volés. Mais ce jour là Cherry ne le reconnaît et elle est méconnaissable. Il est invisible à ses yeux, comme si elle l’avait effacé de sa mémoire. Le film se finit sur une rencontre improbable. L’énigmatique femme de ménage et He se font dos dans un restaurant, mais ils semblent ressentir une attirance étrange l’un envers l’autre. Après avoir été rejetés l’un l’autre, ils finissent par se retrouver dans cette jungle qu’est Hong Kong. Enfin, ils repartent ensemble à moto, He est censé déposer cette mystérieuse femme chez elle, mais au vu de l’atmosphère, de sa concentration sur son visage, de la confiance et de la candeur qui émanent de la femme derrière lui et de la nuit, leur histoire ne fait que commencer. Et c’est exactement cette image qui avait marqué mon esprit, cette image d’espoir et de compréhension.

Fallen Angels, comme le titre l’indique est le portail, l’émetteur de ces chemins croisés, ces personnes isolées, tombées du ciel. Au sein d’une ville dense, elles semblent errer. À la moindre éclaircie dans leurs vies, ces personnages s’enflamment et s’abandonnent. Mais ils finissent par retrouver leur solitude éternelle. La scène de fin rend le film moins dramatique et humain. Fallen Angels, anges déchus en français, est une oeuvre cinématographique moderne et lyrique. L’histoire aurait pu arriver à Paris ou à Los Angeles, car cette oeuvre met en avant cet universalisme existentiel des Hommes dans les grandes villes de ce monde : ce métro-boulot dodo, cette part d’effacement de soi-même au profit d’un univers bien trop et plus grand que notre existence qui souvent nous écrase. La caméra est parfois presque sale, elle aussi subit les aléas climatiques et existentiels des personnages. Grâce aux couleurs comme les néons et à cet effet fisheye, tantôt claire tantôt floue, la caméra donne un effet visuel parfois aquatique et venteux, on arrive à ressentir ce que les personnages ressentent. Il n’y pas d’artifices, les images sont brutes et les lieux parlent d’eux-mêmes.
Fallen Angels est une hymne à la vie, son absence de sens, ses tourmentes et son hasard.
Lunaticharlie.
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