Cinq ans plus tard, la misogynoire continue malheureusement de persister dans les industries culturelles et surtout musicales. Dans cette analyse personnelle, je reviens cinq ans après mon article sur trois femmes artistes noires Noname, Aya Nakamura et Azealia Banks, en m’appuyant sur le traitement de deux stars françaises, issues de la nouvelle génération : Théodora et Yseult.
LE CAS DE THEODORA

Le week-end dernier, le samedi 1er novembre, l’un des piliers du hip hop et rap français j’ai nommé Booba, s’est permis de cracher sa haine sur l’étoile montante de la pop française, Theodora. Vivant littéralement une année de visiblité fulgurante, Theodora est partout et est devenue l’incarnation d’un renouveau musical, mais surtout physique et vestimenaire, dans une industrie musicale française qui s’ouvre tous les 10 ans à des artistes atypiques.
Comme tous les quatre matins, le duc de Boulogne nous habitue à un nouveau pamphlet virtuel, virulent souvent envers un ou une artiste parfois de sa génération (on refera pas l’histoire du hip hop français). Ce qui en devient ridicule le concernant, il s’est au fil de ces cinq dernières années forgé une réputation de père fouettard, installant une bipolarité ambiante. Tout en étant éternellement considéré comme l’un des piliers du rap français, qui a inspiré, produit et lancé la carrière de tant d’artistes. Des artistes qui lui ont au final tous tournés le dos un par un, une par une. Mais la faute c’est toujours à cause des autres, jamais lui. En divinité toute puissante et omnipotente, il règne depuis son trône numérique en vindicateur de qui selon lui mérite une carrière, qui lui plaît et ce, peu importe le style musical de l’artiste concerné.
Ce samedi 1er novembre, c’est avec stupeur que j’ouvre l’application X, déjà devenue une plateforme encore plus violente de par son propriétaire, rendant l’expression des haines moins punies. Et Booba semble prendre aux mots cette montée de la libération de la haine, de ses ennemis imaginaires. Sa nouvelle proie c’est aujourd’hui Theodora, qui n’a jamais rien dit à son entrecontre, qui récolte récompenses et ferveurs en France depuis des mois, mais aussi à l’étranger. Une jeune femme d’à peine 22 ans, donnant l’espoir à des milliers de femmes et noires en France et ailleurs, d’encore plus s’assumer, révéler leurs talents, d’être divergentes dans leurs arts et en tant que personnes. Car oui, vous avez et aurez toujours le droit d’être qui vous voulez être. Apparemment, Booba n’est pas du même avis. Dans cet énième tweet, répondant à un internaute, le rappeur qualifie l’artiste de « négresse de maison, instrumentalisée pour nous humilier ».

Encore une fois, qui nous ? Des insultes avec de fortes charges raciales et racialistes et historiquement violentes et s’inscrivant dans un système esclavagiste et négrophobe. Comment Theodora peut en ce qu’elle incarne, donc la liberté artistique et musicale aboslue, peut-elle être à la merci de quelqu’un ? En dehors d’une hérésie complotiste, le rappeur exprime encore une fois sa misogynoire aux yeux d’un public souvent jeune. Et j’étais heureuse de constater que de nombreux internautes ont relevé l’amertume du rappeur. Ses innombrables attaques à l’encontre de ses rappeurs compères et surtout d’artistes comme Aya Nakamura ou dernièrement Theodora, laisse à penser qu’il s’inscrit dans un discours de la haine de soi profonde ou sûrement d’un God Complex démesuré. Il est notre Kanye West français quelque part : provocateur mais qu’on doit jamais contrarié ou dénoncé et qui pour rappelle fleurte un jour sur deux avec l’extrême-droite. On pourrait toutes et tous l’ignorer mais ses attaques et discours sont audibles et recevables par des milliers voire millions d’hommes. À l’ère des extrêmes droites, de la recrudescence du masculinisme et des violences faites aux femmes, Booba reste un artéfact, d’une industrie des musiques urbaines : une industrie qui a longtemps mise de côté les femmes noires, surtout foncées et ne rentrant pas dans les codes de désirabilités physiques ou vocales. Et surtout, cette violence envers Theodora laisse à penser qu’elle est encore plus légitime en tant qu’artiste et qu’elle ouvre vraiment la porte à un nouveau genre et une nouvelle vague créative.
LE CAS D’YSEULT

Cela fait des années qu’Yseult a intégré l’industrie de la chanson française. Ici encore, Yseult est un exemple de singularité créative. Elle ne fait pas de r’n’b, ni de zouk ou n’a aucune affiliation aux musiques rap et hip hop. Je tiens à le redire car malheureusement dès qu’une personne noire chante = rap et r’n’b ou musiques afro-caribéenne. De par son genre musical, aujourd’hui proche du pop/rock, Yseult a bataillé à se faire un nom depuis l’émission musicale Pop Star, qui l’a révélée il y a plus de 10 ans. Elle a elle aussi essuyé des remarques de diva, car confiante de son art et de sa personne, mais pourquoi elle ne le serait pas ? Elle est comme beaucoup d’artistes noires françaises ou francophones, très appréciée et célébrée à l’international qu’en France. Mais surtout, l’artiste est devenue un étendard de l’appréciation des corps ronds et en forme notamment dans l’industrie du luxe et de la mode. Elle cumule une certaine intersectionalité de par son corps et sa couleur. Vous l’aurez remarqué tout comme Theodora, Aya, Noname et Azealia, elles sont toutes foncées de peau. Et les violences et insultes qu’elles ont subies toutes au long de leurs carrières respectives ne sont absolument pas un hasard.
Yseult n’échappera pas à cette vague d’insultes. Dernièrement, l’artiste a été victime d’un plagiat visuel, de la part de deux artistes sud-coréens. La polémique était mondiale, comme les fanbases. Et le racisme aussi. Comment une artiste victime de plagiat, de sa propre vidéo, est traitée d’ingrate ou de petite artiste ? Peu étonnée par la virulence des insultes envers Yseult, venant de fans de k-pop, d’une industrie sud-coréenne dont les danses et incarnations musicales sont essentiellement inspirées par les musiques africaines et afro-américaines. Comme quoi l’inspiration ou la fétichisation n’enlèvenent en rien le racisme. Et Yseult en a fait les frais.

Elle a pendant plusieurs jours défendu son clip et le travail qu’elle y a consacré, en voulant faire comprendre à l’équipe des superstars coréennes qu’elle mérite d’être créditée. Et à sa juste valeur. Depuis des années, Yseult défend et promeut ses projets face à des médias français qui ne la valorisent que trop peu. Elle s’est instaurée une carrière dans l’underground, tout en gardant une certaine visibilité, car ses projets font et feront toujours écho. Le plagiat qu’elle a subi vient rendre compte de la puissance de sa portée d’artiste mais toujours de manière implicite et sans l’accréditer et la nommer. Dans un Monde qui continue de miniser les apports culturels et artistiques des femmes noires, Yseult a malheureusement été victime de son talent, doublé d’un racisme tranchant lorsqu’elle défend son intégrité et identité.
Jusqu’à quand ?
Les exemples d’Yseult et Théodora sont symptomatiques d’une industrie musicale française, qui ne peut toujours pas garantir le succès sans des biais racistes. Quelque part, à l’image d’un pays, ancré dans le racisme ordinaire et banalisé surtout sur les réseaux sociaux. Il est triste de constater que cinq ans plus tard, ces sujets sont toujours d’actualiser et que les luttes anti-racistes et sexistes sont et seront plus que jamais nécessaires et légitimes. Mais surtout, ce qui est des plus assourdissant est le silence de ces patronnes et patrons noires/afrodescendants de la musique française, qui n’incarnent pas ou peu leurs rôles de défenseurs d’une nouvelle génération d’artistes qui continue de briser les barrières des musiques actuelles. Où sont les voix qui ont forgé le rap, le r’n’b, les musiques d’inspiration afro-caribéennes ou de la variété, quand leurs enfants qui reprennent le flambeau, essuyent encore les mêmes remarques et mépris institutionnels ? Sans oublier les cas de la téléréalité avec Romy et Ebony. La misogynoire reste malheureusement bien que trop ancrée dans les industries culturelles françaises et mondiales.
Au final, ces femmes noires artistes, créatives exposées incarnent la liberté d’être et de penser pour elles et par elles, face à un monde avec des idéaux de plus en plus sévères, qui poussent à penser qu’à soi et de mettre à distance ce qui est différent de nous. Elles continuent d’ouvrir et enfoncer les portes de ces industries, face à des forces et obstacles qui les referment d’emblée.

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