Severance & les limites du consentement

Comment la série AppleTV Severance (2022-), permet de questionner les limites et conséquences du consentement ? Dans cet article, sans vouloir être borderline et invisibiliser des problématiques non-fictives, quand on parle de consentement (notamment lors de v*olences sex*uelles), analysons les différentes manières dont la série aborde le consentement et ses limites. Il contient des spoilers pour les personnes n’ayant pas vu notamment la saison 2, en cours de diffusion.

Severance c’est plus que quatre individus, tentant d’accomplir leur travail et missions professionnelles quotidiennes. En dehors de l’incompréhension planante dans la série quant aux réels enjeux derrière ce nettoyage psychotique mathématique, la série est un tourniquet émotionnel. Et elle ébranle le concept du consentement. Le plus drôle dans la série et ces personnages « sevrés » (plutôt dissociés), est qu’ils consentent à vivre cette deuxième vie psychique et physique. 8 heures par jours, ils altèrent une partie de leur vie et en construisent une autre, dans le même corps et psyché.

Comment conjuguer notre vie hors de notre emploi et qui nous sommes aux yeux de nos collègues et/ou de nos employés ? Dans la vie de tous les jours, cette dissociation est possible mais les frontières tendent à se réduire dans un monde hypercapitaliste et individualiste. Dans Severance, on voit Mark, Ivring, Helly & Dylan, sans cesse questionner leurs vies et leurs quotidiens. Leurs eux extérieurs (appelés « outies ») réels semblent moroses, asservis à des quotidiens tout simplement humains et suivant à la lettre une routine. Lumon, leur entreprise, semble être l’éclat de leurs vies. À vrai dire, Lumon est quelque part leur moteur car ils ont consenti à donner une part de leur être et de leur corps, et pas la plus inutile : leur cerveau.

Regarder ces êtres dissociés, qui dès la sortie du bureau oublient ce qu’ils ont fait et qui au bureau ne sont pas en mesure de savoir qui ils sont en vrai, est très sadiquement intéressant.

La saison 2 va plus loin que la première. Le monde réel empiète de plus en plus sur ce monde bureaucratique. Les « innies » vivent chacun et chacune une double voire même une triple vie : les règles chez Lumon sont ébranlées. Et on s’aperçoit qu’ils se rapprochent tout simplement de ce que signifie être un être humain : un être imparfait, maître de ses choix et disposant de son corps et son esprit. Enfin, quelqu’un qui a le choix.

Et en termes de choix, les innies n’en avaient pas vraiment et la frontière avec la définition du consentement est épineuse et complexe. Attardons-nous sur chaque personnage :

Le cas d’Helly :

Helly est l’un des personnages principaux et la seule femme sevrée parmi eux. Partant d’une posture supérieure à ses collègues, de par son affiliation à Lumon (fille du patron), la saison 2 tient à lui rappeler les dangers de son double jeu. Les derniers épisodes de la saison 2 viennent totalement bousculer les limites du réel et de comment disposer de son corps quand ton esprit et ton psyché sont partagés entre deux personnalités et espace-temps. On ne parle pas ici de maladie mentale, mais plutôt de manipulation psychique. Quand la Helly « outie » et le Mark « innie » ont des rapports sexuels dans l’épisode 3, on s’attend à ce que la Helly « innie » (travaillant chez Lumon) manifeste un mécontentement. Mais personne n’a osé le lui dire directement, sachant pertinemment l’inconfort et le choc que cela pouvait causer. Et la réaction de Helly fût légitime, étant donné que son corps et son esprit ont été bafoués… par elle-même. Juste après avoir appris la nouvelle, Helly « innie » a voulu reprendre possession et le contrôle de son corps et réaffirmer son envie de dire oui, de consentir à cette expérience intime. On ne peut parler de v*ol mais peut-être d’intrusion mentale et émotionnelle. Cette altérité mentale, à laquelle elle a consentie lui fait de plus en plus défaut avec le temps. Sa partie sevrée souffre depuis le début de la série, faisant d’elle la première antagoniste de la série. Elle était sûrement le premier personnage à se battre et vouloir mettre fin à cette altération d’elle-même, ainsi qu’à leur exploitation.

Le cas de Mark :

Mark. S était au début de la série le personnage propre sur lui-même, parfois maladroit et limite éteint. L’employé parfait qui, en ne faisant pas plus que les autres, arrivait tout de même à se démarquer. Sa périple quant au fait d’être sevré et son désaccord avec ça, commence vraiment lorsque Helly arrive et que son ancien ami de bureau disparaît et est du jour au lendemain licencié. Mark va au fur et à mesure de la série connaître un éveil multidimensionnel. Car contrairement à Helly, qui a le contrôle de sa dissociation, Mark tient à reprendre les cordes de sa vie en rappelant le passé du lui externe « outie » à son « innie ». C’est peut-être l’exercice le plus difficile à voir dans la série. Entre opérations neurologiques et triple jeu d’acteur auprès de ses proches, de ses collègues et de lui-même, Mark comprend qu’il est manipulé, souvent en danger et qu’il n’a aucun contrôle sur ses souvenirs, ses pensées et son passé. Il est paralysé par ce dernier et totalement inconscient de son présent.

Le cas d’Irving :

Irving est l’archétype même du Boomer en entreprise. Loyal, à cheval sur les règles et valeurs de la boîte, c’est l’employé parfait. La dichotomie avec le vrai Irving est frappante. En dehors de Lumon, Irving vit une vie sans âme, solitaire et il est très créatif. C’est ici qu’on l’on entrevoit que la dissociation ne change pas tout à fait les personnes et personnalités : on peut dire que dans les deux mondes, Irving reste le même. Sa personnalité est altérée mais il semble toujours être attaché à son amour pour l’art. Et dans les deux mondes, il essaie de vivre et comprendre sa sexualité et son orientation sexuelle. On voit qu’il lutte puis accepte enfin qui il est, parfois avec inhibition et crainte. Chez Lumon, il ne peut vivre son histoire d’amour en tant que sevré. De plus, dans le monde réel son partenaire est marié. Le paradoxe des deux mondes crée une impossibilité de réellement se réaliser et d’explorer à 100% ses envies et désirs. Tantôt avec sa personnalité extérieure tantôt avec celle dissociée. Cette ambivalence empêche au final chaque partie d’être elle-même : quand une voudra agir, s’épanouir ou s’écouter et être libre, cela pourrait mettre en péril la réalité d’agir et de vivre de l’autre. Comme une sixième dimension, selon les jours Lumon est une sorte de paradis ou d’enfer où les « innies » se réinventent, comme des prototypes ou des expérimentations voulant s’affranchir, gagner en importance et en humanité. En voulant échapper à leurs vies externes et donc à des manières de vivre conformes, les « innies » se rendent vite compte que Lumon ne leur permet pas de totalement s’échapper mais au contraire, d’être esclave d’un autre système où même les encadrants sont des pions, d’un jeu à la finalité trouble.

Le cas de Dylan :

Dylan est le personnage le plus décentré de ce combat pour s’affranchir de Lumon. Il est depuis le début de la série plutôt confortable dans son corps et ses deux personnalités. Il varie entre un égoïsme absolu et une conscience que l’effort de groupe lui servira toujours. Dans la saison 2, il le prouve encore. La femme de son « outie » rend visite à son « innie ». C’est-à-dire que le Dylan réel, père de trois enfants, partage sa femme avec un autre lui. Et sa femme comprend les enjeux de cette balance psychologique entre un mari antipathique et un Dylan sevré ouvert, gentil et disponible, essayant de comprendre son lui externe. J’espère que vous suivez jusqu’ici. Lors du dernier épisode de la saison 2 (actuellement l’épisode 6), la femme de Dylan et le Dylan sevré, échangent comme à leur habitude mais on perçoit une tendresse et douceur physique mais aussi émotionnelle de la part du Dylan sevré. Une romance est en train de naître et comment expliquer à son vrai mari que vous vous attachez à un lui, qui n’est pas lui. Ici encore, comme avec le cas de Helly, on est face à des questions d’éthique et de morale, venant déstabiliser nos normes et valeurs. Il y a-t-il adultère ou viol ? Comment consentir ou dire oui quand une autre partie de moi n’est pas consciente et/ou n’a pas le choix ? Ou encore, comment le consentement d’un individu à un système peut affaiblir l’esprit de groupe et corrompre un but collectif ?

Les différents services de Lumon sont totalement éloignés les uns des autres, mais remplissent chacun une mission, sous une idéologie professionnelle proche du religieux. Cet éloignement des différents services sevrés de Lumon représente une métaphore de l’éclatement social de nos sociétés : l’éducation, la santé, les industries, l’agriculture ou le droit, tous ces systèmes et mondes qui font fonctionner la société mais aujourd’hui mal en point, fracturés et tentant chacun de son côté de fonctionner voire survivre. En n’arrivant plus à trop communiquer et faire lien avec les autres.

Severance vient dans un premier temps détruire et questionner ce mythe bureaucratique. La série challenge notre place en entreprise, notamment dans des grandes boîtes où l’individu passe après la masse et le groupe, mais doit tout de même contribuer et fournir un effort pour maintenir l’ordre social et surtout financier. Dans Severance, les sevrés subissaient leur dessein mais on voit que comme une évolution naturelle, les sevrés tiennent à reprendre leurs esprits et leur droits. Mais surtout, les outies sont eux aussi au final sevrés et manipulés. Pensant avoir le dessus, ils sont eux aussi privés d’une partie d’eux-mêmes. Ils ont pas le souvenir de leur vie professionnelle et des sévisses et toutes autres manipulations qu’on leur fait subir. C’est un jeu mental, un labyrinthe émotionnel mais aussi dysfonctionnel. Mais c’est surtout une énième expérience télévisuelle voulant nous faire comprendre que rien n’est jamais acquis. Et que même lorsque l’on pense être libre et avoir le contrôle de nos actes, pensées et paroles, dire oui ou non à quelqu’un ou quelque chose, peut changer le cours de nos vies.

Severance va plus loin que n’importe quelle production visuelle. C’est une métaphore de ce que nous pouvons être d’un endroit à un autre, avec telle ou une autre personne. Ou tout simplement, c’est comment on arrive à naviguer, porter un masque social dans la société. Et que le fait d’être soi-même est parfois trop ou pas forcément assez.

Lunaticharlie

Suivez le média sur Insta & TikTok !

Laisser un commentaire

En savoir plus sur POINT ZERO WORLD

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture