« Chromakopia » est -il le projet le plus sensible et disruptif de Tyler The Creator ? Des textes aux mélodies, jusqu’aux vidéos, le projet est un plongeon direct dans l’intimité et les extrêmes de la créativité de l’artiste.
On ne le présente (presque) plus, Tyler the creator est un acteur essentiel de la scène rap américaine et même mondiale. En plus de 15 ans de carrière, l’artiste, compositeur et producteur a réussi à se créer un univers artistique presque palpable. Sa créativité est immense et presque intarissable. Son dernier projet Chromakopia se démarque de tout ce que l’artiste a pu proposer jusqu’à maintenant. Des textes à l’image il parvient à y réunir et mélanger ses créations antérieures, comme une symbiose artistique. On peut clairement ressentir une petite touche de ses premiers albums comme « Goblins », (2011) un projet qu’on peut qualifier de hip hop industriel ou hardcore.

Cela fait des années que Tyler The Creator s’explore musicalement, mais encore plus physiquement. Venant totalement bouleverser les attentes d’un artiste masculin et d’autant plus noir américain. Loin de la masculinité extrême et souvent toxique arborée par nombreux de ses semblables, Tyler the creator frôle les interdits en terme de genres, tous les genres.
Même si des figures plus anciennes comme David Bowie ou Prince ont donné le la avec leur flirt perpétuel avec les genres masculin et féminin et leur « androgynie », Tyler the creator poursuit cette héritage et s’intègre alors dans une génération d’artistes qui brise les codes visuels et physiques à sa manière. Il est sa propre norme !
Chromakopia est un projet binaire, tendre et merveilleux, rempli de balades à la guitare. Mais il est aussi un projet obscure de par ses textes : une ambivalence flotte au travers du projet. On passe de l’énervement à la joie à la mélancolie et l’exploration des traumatismes de l’artiste. La dualité est constante, à l’image de n’importe quel être humain au final. Tyler the Creator tient toujours à mélanger les genres sonores, à troubler les ordres sociaux et culturels. Avec ce noir et blanc présent dans les vidéos du projet, il semble que l’artiste revient à son combat interne sur la réalité de son existence, l’absence de son père, ses troubles affectifs amoureux. Le masque porté par l’artiste dans toutes les vidéos sur le projet est fin, prenant parfaitement ses traits, il dissimule sans rien cacher. C’est une intention de se remettre en question lui-même ainsi que son identité, comme une perte de soi assumée. Ou l’envie de réellement se connaître et de se retrouver afin d’experimenter cette découverte de soi. Loin des autres, des fans, de la toxicité d’être reconnu et du monde moderne. Sans rappeler les justiciers ou anti-héros masqués de la culture populaire, le personnage masqué de Chromakopia animé par un esprit guerrier et de conquête, s’en va contre-attaquer ses ennemis visibles et invisibles.
La binarité colore et musicale de Chromakopia est surprenante et apparaît comme un clin d’oeil au cinéma d’époque. À la différence que dans notre temporalité, les couleurs de peaux sont prises en compte. Le noir et blanc ne sert pas ici à dissimuler mais à accentuer le récit, les paysages, la dramaturgie de l’instant. D’Albert Hitchock à Wes Anderson, les influences cinématographiques sont finement agencées. Chromokopia est une métaphore visuelle moderne sur la célébrité, tout en poésie non sans grossièreté.
Sur le plan musical, c’est un projet construit presque mathématiquement. Les sons ont des sens multiples, on ne peut jamais s’imaginer la prochaine note ni la finalité de chaque chanson. Les samples sont créatifs et multiculturels. En effet, Tyler the creator est parti puiser dans des références musicales lointaines et très diverses. Et ce, dans le monde entier. Du titre Balloon inspiré de la chanson « ヨ・ロ・コ・ビ (1978) de l’artiste japonaise Akiko Yano, au titre « Noid » qui sample la chanson « Nizakupanga Nogzi »(1977) du groupe zambien Ngozi Family. Le projet est un challenge constant, c’est une exploration totale de ce que l’artiste a pu et peut encore nous proposer.
Chromakopia est un appel à sortir des diktats visuels actuels, à ne plus se conformer. Les mots se distinguent des images et de la musique, tel est le mot d’ordre de Tyler the Creator. Comme un magicien, on ne sait jamais à quoi s’attendre d’un projet à l’autre.
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