Inauguré en 2006, le Musée du Quai Branly est aujourd’hui un pilier des musées parisiens et français. La programmation du musée va d’expositions modernes à des colloques et conversations intellectuelles dans l’ère du temps. Aujourd’hui, le musée dépasse totalement son rôle muséal et est un lieu de rencontres et discussions anthropologiques et culturelles.
Mais que fait réellement le Musée du Quai Branly ? Cela fait des années que l’établissement tient à se détacher de son passif colonial. Afin de repenser son histoire et son futur. Des expositions qui vont à l’opposé de l’histoire de base du musée. Et qui ouvrent la voie à des réflexions sur des « ailleurs » non plus exotiques. Mais bien réels et plus proches qu’auparavant, dans un monde globalisé et mondialiste.
De l’annuel Université Populaire où on discute d’économie, d’ailleurs ou de la « bipolarité » du musée concernant la restitution des œuvres. En passant par l’exposition « Déborder l’Anthropologie » sur des femmes anthropologues noires majeures, du XXème siècle. Le musée du Quai Branly continue d’explorer le monde et l’entreprise socio-culturelle qu’offre les cultures non occidentales. Mais sans jamais rendre les millions d’objets sacrés, cérémoniaux et cultuel entassés dans le musée. Une posture dichotomique et étrange qui questionne vraiment ces intentions. La question des restitutions reste l’un des enjeux majeurs culturel et néo-colonial de ces dix dernières années.
Il s’agit encore d’une polarisation « Nord et Sud », avec des pays occidentaux, toujours détenteurs d’un patrimoine culturel antique, traçable et localisé. Face à des pays « du Sud », qui tiennent à « se développer » comme ceux du Nord, tout en gardant leurs identités et valeurs. Mais les pays du Sud ou non occidentaux, restent du moins toujours désavantagés sur les plans culturel et patrimonial. Avec les flux de migration, le tourisme et des diasporas de plus en plus en clin à retourner sur leurs terres d’origine, ces pays non occidentaux d’Afrique à l’Océanie, ne jouent pas dans la même cour en termes d’exposition patrimoniale.

Oui ces discussions sur les enjeux contemporains de l’anthropologie et sciences sociales sont intéressantes. Bien sûr que l’on apprécie de voir ou entrevoir des œuvres de Basquiat ou Chéri Samba dans le musée. Mais cela ne suffit pas à oublier qu’au prochain couloir, on apercevra un trône Mandingue ou un masque Punu. Un artefact cloîtré dans un établissement qui le prive de sa charge royale, cultuelle ou rituelle.
Le musée du Quai Branly se trouve aujourd’hui partagé sur les plans matériel et immatériel en terme de responsabilité de transmettre le savoir tout en l’occultant et se l’accaparant.
Comment parler ou exposer les « Autres » en 2024 quand ces « Autres » peuples restent en grande partie dépourvus de leur patrimoine matériel.
« Dahomey » le dernier film de la réalisatrice Mati Diop l’explique que bien : le peu d’œuvres et objets restitués démontre à quel point le musée du Quai Branly mais aussi le British Museum à Londres. Ou beaucoup d’autres musées européens et occidentaux, n’arrivent pas à rentrer dans le présent et le futur. Afin qu’ils se défassent de leur passé, il faut entièrement faire table rase. « Dahomey » à la croisée de la fiction et du documentaire, pose aussi les questionnements transversaux autour du retour de ces statues ou objets sacrés. Ces objets ont une charge historique mais sont aussi marqués par le colonialisme et sont coincés entre l’immanent et l’idéalisation.
Dahomey est un exemple que la collecte des œuvres non occidentales des musées européens va plus loin qu’une problématique matérielle. La problématique est aussi de l’ordre du transcendant et des imaginaires. On renvoie un objet sacré qui a 300 ans mais que signifie-t-il aujourd’hui pour les générations actuelles locales ? Le fait de l’enfermer aussi dans un musée au Bénin ou en Angola, ne revient-il pas au même schéma ? L’objet n’avait pas sa place en Europe, mais des siècles plus tard sa légitimité dans son pays d’origine est aussi ébranlée. Les personnes qui se rendront dans ce musée à Cotonou ne sont-elles pas aussi privilégiées ?

La personnification de l’Homme-Requin du Roi Béhanzin dans le film permet de mieux appréhender les rapports politiques, sociologiques et coloniaux liées au musée. Qui sont les personnes qui vont majoritairement au musée ? Les musées ou les galeries restent des vecteurs d’inégalité partout dans le monde. Et d’un pays à un autre, y avoir accès est souvent un privilège social, culturel et symbolique. Et surtout, que les objets rendus se trouvent entre plusieurs mondes, ils n’appartiennent symboliquement presque à personne. Mais on continue de se les disputer et accaparer partout dans le monde.
Le musée du Quai Branly tout comme le Musée Guimet ou le Musée de l’Homme, est une fabrique à raconter des imaginaires tout en gardant captif une partie de l’imaginaire mondial.
Lunaticharlie.
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