Sorti le 21 août 2024, Blink Twice est le premier long-métrage de l’actrice et réalisatrice Zoë Kravitz. Et c’est indéniable que Blink Twice rentre dans un nouveau genre cinématographique dans la même lignée que Get Out (2017) (dont l’histoire est sûrement inspirée) ou encore Antebellum (2020). C’est-à-dire des nouvelles productions visuelles qui questionnent des événements passés et présents raciaux et esclavagistes américain, sans le glorifier mais à travers une critique gore et horrifique.
Mais dans Blink Twice, loin des États-Unis, on est tout de même face à une fiction réaliste et toujours liée à l’histoire du pays étasunien.
Une racialisation et hiérarchisation de l’esclavage sexuel
Pour commencer, l’intrigue est simple et monte doucement en puissance. Frida (jouée par Naomie Ackie), une jeune femme noire un peu paumée et créative est obsédée par un magnat des nouvelles technologies, Slater King (joué par Channing Tatum). Un événement en entraîne un autre, comme par magie ou coup du destin, Frida et son amie Jess sont invitées par le fameux Slater King sur son île privée. C’est ici que commence vraiment l’histoire du film. Et à vrai dire, on ne peut s’imaginer la réelle issue du film.
Au milieu de nulle part, sur une île tropicale, Frida et Jess sont accueillies comme des princesses, tout est prêt pour elles, de leurs vêtements à leurs chambres. Elles qui pensent avoir été « choisies » sur le tas et grâce à leur charme, se retrouvent prises au piège d’un plan et système horrible. Un plan orchestré par des hommes et dont certaines femmes sont aussi complices. On se rend d’ailleurs compte que les femmes sélectionnées en plus de Frida et Jess sont à majorité non blanches, très belles, jeunes et des inconnues les unes pour les autres. Des proies parfaites. Du choix des vêtements des femmes à la répétition quotidienne des activités et l’orchestration émotionnelle et psychologique, nous sommes dans Blink Twice face à une sorte d’esclavagisme sexuel moderne. Les femmes sont constamment dénudées, incitées à boire et se désinhiber, tout pour qu’elles perdent le contrôle d’elles mêmes. Et en marquant une distinction nette entre les hommes et les femmes. Et la nuit venue, elles subissent toutes sortes d’abus et tortures, sous le coup de l’oubli et de la manipulation.
Qui sont ces hommes qui profitent au quotidien de ces femmes ? Des hommes connus pour certains d’entre eux, de tous âges mais avec des points communs : blancs et riches.
Dans un autre cas médiatique, le film peut rappeler le cas de l’île Epstein, cet endroit inaccessible, loin des Hommes, décortiqué par des dizaines de documentaires mais dont on connaît à peine les réels horreurs et secrets. Le film s’inspire des mêmes procédés : on « attire » de jeunes femmes charmées par des hommes riches et connus, sur une île coupée du monde et loin de tout ce qu’elles connaissent. Leurs « vacances » sont orchestrées au millimètre près et leurs sévices sont continus à leur détriment et sans leur consentement. Parfois pendant des années.
« Plus elles subissent plus elles oublient »…
Un processus psychologique est largement abordé dans le film : le poids des traumas et les mécanismes liés aux abus et agressions sexuels.
En pleine affaire des viols #Mazan et du procès de Mme Gisèle Pelicot , la sortie de Blink Twice est un rappel cinématographique saisissant, traitant avec brio les questions de soumission chimique et/ou de gaslighting et prédation sexuelle. Le film va au travers de l’horreur, montrer des sujets et questionnements réels liés à l’esclavagisme et asservissement sexuel des femmes. Mais surtout jusqu’où la misogynie peut aller.
Blink Twice est aussi un film montrant le cercle vicieux psychologique d’un homme presque omnipotent, déchu par ses pairs et asseyant son pouvoir loin du monde des Hommes. Un homme à l’ego surdimensionné, lui-même traumatisé, abusé qui abuse à son tour sans limite et de façon infinie. Un homme traumatisé et humilié qui a décidé d’asseoir sa masculinité sur des femmes mais aussi des hommes. Ce n’est pas même pas une caricature car même si fantasmée, la soumission chimique est un sujet dont les médias ont tardé à aborder mais qui monte en puissance depuis ces dernières années. Dans le film, la soumission chimique est personnifiée par un parfum issu d’une fleur, nommé la desiderata, qui efface tout souvenir. Hommes de pouvoir ou pratiques familiales incestueuses et destructrices, le film pointe sans le vouloir un fait social, récemment décrié et qui pourtant existe depuis des décennies voire même des siècles. Ici encore, le viol est un outil de pouvoir, de soumission et de violence psychologique.
Les abuseurs qui abusent (le bras droit ou le psychologue qui sont intrinsèquement bourreaux et victimes). Le cas du psychologue drogué est totalement frappant au point que Slater King n’a tellement pas confiance en lui qu’il drogue et manipule son propre psychologue, entre guillemets la seule personne qui connaît ses peurs, faiblesses et secrets.
On en vient à se demander pourquoi ces hommes se réunissent et font subir ces horreurs, loin de toute structure étatique et depuis combien de temps ce cauchemar persiste. Sûrement l’hérésie masculiniste. L’un des points marquants du film est quand on s’aperçoit que Frida n’en est pas à son premier séjour.
Une fin un peu déconcertante
La fin du film reste du moins déconcertante. Frida à l’aide de sa rivale Sarah, décident de se venger non pas en rendant son agresseur à la police et aux autorités. Mais en lui administrant le même traitement qu’elle a subi pendant des années de maltraitance et abus. C’est un choix de plus en plus récurrent surtout dans le cinéma portée sur des victimes féminines. La même punition s’est faite dans Poor Things (2024) d’ailleurs. Comme pour renverser le schéma patriarcal et misogyne, en insufflant un empowerement dans un système réel où les femmes face aux injustices, ne gagnent que trop rarement.
Enfin, le point final et essentiel du film reste la solidarité féminine. Il était clair que Slater voulait diviser et mettre en compétition les deux héroïnes, diviser pour mieux régner et les éloigner. Mais leur réveil les a sauvées et leur a permis de sortir de ce cauchemar, non pas sans séquelles et victimes.
À défaut de la prison, le bourreau sera puni d’une autre manière et sans faire d’autres victimes. Frida retire le libre arbitre de Slater King, donc sa possibilité de continuer à torturer et asseoir sa brutalité et sa perversion sur les femmes.
Lunaticharlie

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