La télévision française et l’absence d’histoires de femmes noires : un retard considérable ?

Me voici à nouveau devant une énième série/fiction anglo-saxonne, tirée d’un livre homonyme et retraçant le vécu traumatique mais aussi vainqueur de Queenie (2024), jeune femme noire d’origine jamaïcaine et vivant à Londres.
Cela fait 10 ans que dis-je, 27 ans, que je vois plusieurs parties compartimentées de moi visuellement retranscrites au travers de petits écrans, dont la fonction est éphémère. Mais les histoires représentées, elles, resteront à vie dans mon crâne.

J’ai en deux jours fini Queenie et au cours de mon visionnage, de ce voyage initiatique trouble mais fabuleux, je me suis arrêtée et demandée : quand est-ce que je pourrais voir ce type d’histoire et portrait sur les écrans français ?
Pourquoi ce pays a tant de mal à nous représenter, sommes-nous (toujours) trop ou alors inconsidérables ? Pourtant au quotidien, on nous fait souvent comprendre que nous sommes visibles. Cette dichotomie est incompréhensible et aussi risible.

On peut en vouloir au monde de l’audiovisuel français qui n’arrive pas à bouger, penser autre et différemment. Ou se poser des questions concernant les personnes décisionnaires du bourrage visuel qu’on absorbe au quotidien.
Mon questionnement n’a pas commencé avec la série Queenie, dont l’histoire est singulière mais pas anodine et plutôt courante mais tabou.

Réelle enfant de la télé, j’ai au cours de mon enfance et adolescence eu la chance de grandir dans un foyer où on m’a vite fait comprendre qui j’étais, ce que ma peau pouvait représenter et que je devais surtout PAS avoir peur de la défendre, de me défendre autant sur les plans racial mais aussi physique et psychologique.

Cette lutte existentielle se retranscrivait aussi au travers de ma culture primaire et surtout visuelle. Née à la fin des années 90, je n’ai pas échappée à « l’américanisation » des écrans français et voire même dans le monde entier. Sister Sister, Phénomène Raven avec plus tard Kevin Hill, je les ai eu toutes vues passées ces séries. Mais la première qui a suscité un intérêt plus profond reste Insecure. Une série dont la simplicité la rend presque triomphale. Comment le fait de représenter des femmes noires diverses, de par leurs chemins de vies ou carrières en devient presque révolutionnaire en 2024 ?

S’en est suivi d’un nouveau genre, d’un pululement télévisuel avec des embryons qui se sont mis à éclore par magie ou pas : Harlem (2021- 2023) ou encore Run The World (2021 – en cours) ou la mini série britannique  Mood (2022).
Cette éclosion plurielle d’histoires parfois similaires car tout simplement représentatives d’un commun vécu, d’un quotidien que des milliers et millions de femmes noires vivent à travers le monde, tout en gardant chacune leurs particularités et individualités, ne semble pas avoir atteint les frontières de la France ni du monde francophone.

Pourtant c’est si simple à faire et à composer. Parmi cette omission fictive et télévisuelle revient une récurrence aussi historique de nos places dans l’histoire Française. Nos mœurs et sûrement nos corps, nos altérités sont à peine comprises et tolérées dans la vraie vie…pourquoi le seraient-elles dans une fiction ? C’est une vraie schizophrénie culturelle que nous vivons dans ce pays, où l’avenir et nos fantasmes se rapprochent de plus en plus, où la créativité ne cesse d’être repoussée, où l’on projette l’humanité dans un futur si lointain, sans les maux et intolérances du présent. C’est dérisoire à écrire et à constater, ne voulant dénigrer aucune production en cours mettant en valeur ou en avant une femme noire professeure ou divorcée ou adolescente ou non binaire, des femmes noires afrodescendantes ou caraibéennes dans leur foutoir mental et émotionnel, sans filtre ou pudeur.

Je ne peux pas oublier le magistral film d’Alice Diop avec Saint Omer (2023) qui a suscité un apaisement après l’avoir visionné au cinéma. Ou la saison 4 de la série Skam France (2018-2023), se concentrant avec justesse et profondeur sur la vie d’Imane (incarnée par l’actrice Assa Sylla). Néanmoins, ces récits et histoires peinent à s’ancrer dans la culture visuelle et populaire française, ils sont comme événementiels ne s’inscrivant pas dans la durée et le réel. Le plafond de verre est toujours aussi haut à briser et atteindre.

Ce n’est pas un appel misérable ni d’apitoiement à une certaine reconnaissance existentielle, car nous savons que nous existons, ce que nous apportons dans la société, nos foyers, nos amitiés et dans les cultures occidentales tout comme africaines ou américaines. C’est juste une énième constation et consternation de l’immobilisme visuel et culturel auquel ce pays fait face.

La gronde est petite mais vibrante dans toutes les autres branches culturelles : de la photographie à la mode en passant par le journalisme, nos voix sont aujourd’hui audibles et la nouvelle génération d’artistes et créatives prend de plus en plus sa place. Mais une chose est sûre, c’est qu’il est difficile de transmettre sans figures visibles, invisibilisées tant dans les écrits que les films.

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