À la découverte de Christelle Bakima Poundza et de son premier ouvrage « Corps Noirs »

(L’entretien dans son entièreté est à retrouver sur Spotify en format podcast, en cliquant ici !)

PZW : Bonjour !

Christelle : Bonjour, salut !

PZW : (Rires) On n’est pas sérieuses. Comment vas-tu déjà commencer ?

Christelle : Très bien, on est le 30 août ! C’est le jour de la sortie officielle de mon livre, donc ça fait très plaisir de voir qu’il existe, que des gens l’achètent et les retombées presse, pour l’instant, c’est assez cool. Globalement, là, je suis hyper contente et reconnaissante que ce projet de si longue haleine sorte au monde. Ça va !

PZW : J’allais te demander, est-ce que tu peux te présenter ?

PZW : Bon moi, j’ai fait une micro-présentation de toi. De qui je pense que tu es !

Christelle : Vas-y, je te laisse me présenter !

PZW : Tu as 28 ou 27 ans ?

Christelle : 27. Je suis née en 96. T’inquiète !

PZW : J’ai mis que tu as 28 ans, que tu es auteure ou autrice…

Christelle : Les deux me vont. 

PZW : J’ai écrit : conteuse de faits engagés et déterminants, artiste rêveuse et réaliste !

Christelle : Oui, c’est marrant. On ne m’a jamais présentée comme ça, mais oui, je me reconnais assez bien dedans. Je dis souvent que de toutes les activités que je fais, j’aime raconter des histoires, en écouter et les retransmettre. Donc la dimension de compteuse, tu vois, ça en fait partie. Et oui, de fait, engagée. Après, c’est un terme avec lequel je suis toujours vigilante dans l’utilisation. Mais il est vrai que dans tout ce que je fais, quand je dis que je suis engagée, de se dire que si je fais un truc, je le fais à 200 %. Et genre, par exemple, là, j’ai écrit un livre et je me suis dit « tu signes avec une maison d’édition c’est bien, tu vas parler de ce sujet ok, mais n’y vas pas de main morte ». C’est pas tous les jours, même si je pense que ce sera pas du tout mon premier livre, mais même si je pense que ça ne sera pas mon dernier livre. Donc, il faut le faire, qu’on peut s’engager dans ce qu’on fait. Et pour rêveuse, ouais, franchement, j’ai plein de rêves, j’ai plein de listes de rêves. Donc oui, carrément, ça me va bien comme présentation !

PZW : Après, tu peux te présenter toi-même. Toi, tu te décrirais comment ?

Christelle : Si on doit me présenter de manière factuelle, moi, je suis autrice, critique. J’ai réalisé un court-métrage aussi il y a deux ans, donc réalisatrice. Podcasteuse, ça fait cinq ans que je fais du podcast. Et un peu plus récemment, j’organise aussi des soirées.

PZW : On va y revenir plus tard (rires).

Christelle : J’aime bien réunir les gens. C’est vrai que c’est un truc qui me définit assez bien, je pense que j’aime bien le fait de réunir les gens autour de choses. Et même pour moi, un livre, c’est un truc qui peut réunir les gens de manière différente. Il y a des gens qui vont acheter le livre juste parce qu’ils me connaissent. Ils vont se dire je vais lire alors que ce n’est pas forcément leur truc. Il y a des gens qui vont lire parce que vraiment, c’est le sujet. Il y a des femmes noires qui vont lire, il y a des personnes queer vont me lire, il y a des gens du monde de la mode et de l’industrie qui vont lire parce qu’ils vont se demander « ok, qu’est-ce qu’on doit faire un peu ? » Donc oui, je pense que réunir les gens, ça me parle. Et justement, dans le livre, une des phrases à la fin et au début « c’est pour faire société et je pense que c’est vraiment ça mon crédo. Je ne sais pas, venez, on vit ensemble et ça se passe bien !

PZW : Très bien. Pour celles et ceux qui n’auraient jamais été témoins de ton histoire et qui n’ont pas encore eu ton magnifique ouvrage, Corps Noirs, peux-tu nous rappeler en quelques mots comment la mode est venue à toi ou inversement ?

Christelle : Oui, j’ai commencé vraiment à m’intéresser à la mode quand j’avais 12-13 ans. J’avais et j’ai toujours un parrain et une marraine dont je suis très proche et qui sont vraiment comme des parents. Et quand je dis ça, c’est vraiment le cas. C’est-à-dire que quand j’étais plus jeune, j’habitais en Guinée avec mes parents, parce qu’ils travaillaient là-bas. Et la première fois que j’ai pris l’avion, j’avais deux ans et c’était pour aller en Belgique, là où mon père et ma marraine habitent.

Et du coup, toutes les vacances, j’étais avec eux, même des moments dans l’année. J’avais mes parents aussi, mais c’est des gens qui sont aussi des figures parentales : j’ai appris à faire du vélo, j’ai appris à lire l’heure, des trucs un peu basiques. Et aussi la spécificité par rapport à mes parents, c’est que mon parrain et ma marraine, qui sont belges, ils sont blancs, alors que mes parents sont noirs. Et ils n’étaient pas passionnés de mode, mais ils avaient, je pense, un niveau social et économique qui leur permettait d’acquérir des pièces Jean-Paul Gaultier, des pièces Dior, des montres. Et mes parents, tu sais, je suis plutôt classe moyenne supérieure, mais il y a un gap. Et du coup, j’ai commencé à m’intéresser à la mode comme ça, parce qu’avec ma marraine, on allait dans les boutiques, je trouvais ça cool et un jour, elle m’a offert une marinière Jean-Paul Gaultier. Mais je ne connaissais pas le designer, parce que j’avais 12-13 ans. Et j’ai fait mes recherches. Puis après, je suis allée à la bibliothèque, j’ai trouvé un livre sur lui et je me suis dit : « Ça a l’air cool la mode ». J’ai commencé à lire des magazines, regarder des défilés. Et je pense aussi le fait que je suis je suis d’origine congolaise, donc de mes deux parents. Et mes parents, eux, ils ne sont pas du tout dans la mode, ils ne sont pas du tout dans la sape. Ma mère se moquait souvent de la sape en mode : « mais les gens, ils sont sérieux ? »

Mais je pense que ça m’a aidée à découvrir que la sape et la sapologie, c’est important dans l’histoire culturelle du Congo. Parce que je me suis dit que même si mes parents ne sont pas des gens qui ont une culture de la mode, ils viennent d’un pays où la mode et l’esthétique, c’est important . Et du coup, c’est comme ça un peu plus que j’ai fait le lien. J’ai mélangé un petit peu tout ça et j’ai commencé à devenir une personne, je pense, obsessionnelle de la mode dans ce que je pouvais voir. J’ai limite aussi un peu commencé à écrire comme ça parce que je connaissais personne qui travaillait vraiment dans la mode vraiment et je voulais que mes parents s’y intéressent aussi. J’écrivais des critiques de défilés, je regardais des défilés et après, j’essayais d’écrire plus vite le récap que les journalistes sur le truc. À la fin, je montrais à ma mère, je lui demandais : « vas-y, t’en penses quoi ? » et ma mère me dit : « C’est bien », mais en vrai qu’est-ce qu’elle en savait que c’était bien ? Puisqu’elle ne regardait pas ces choses. Mais rétrospectivement, je me rends compte qu’écrire un livre, ça ne me paraît pas si exceptionnel que ça…

PZW : Ah pas exceptionnel ? Ma prochaine question va être compliquée (rires)

Christelle : Non, non, pas du tout. Non, non, non. Après, ça n’est pas assez exceptionnel, mais ça l’est quand même. Ce que je veux dire, c’est après, il y a écrire un livre et écrire. J’ai écrit sur la mode avant même de me dire que j’allais écrire un livre. En tout cas, je me suis jamais dit un jour : « J’ai trop hâte d’écrire un livre. » Ce n’est pas du tout venu comme ça.

PZWTu as un peu répondu à ma prochaine question. Pourquoi penses-tu être tombée amoureuse de cet art plus qu’un autre ? Comment tu t’exprimes au travers de la mode ?

Christelle : J’ai été sensible à plein d’arts différents, mais je pense que la mode ça m’a tout de suite plu parce que j’aimais bien… Bien sûr, il y a le côté, je regardais des films, je regardais des magazines et du coup, il y avait un côté rêve, mais j’aimais beaucoup et j’aime toujours le vêtement aussi. Je trouvais que c’était une manière de se réinventer. En étant plus jeune, j’ai beaucoup déménagé tous les trois ou quatre ans, du coup, j’étais souvent la nouvelle dans la classe. Même si c’est difficile, quand tu déménages, tu peux avoir un autre style d’un endroit à l’autre.

De toute façon, personne ne te connaît. Si t’as un style aussi un peu différent, les gens peuvent venir vers toi parce qu’ils vont dire : « J’aime bien ta veste, j’aime bien tel truc ». J’étais pas timide, mais c’était quand même un moyen de me dire : « Cool, si je suis bien habillée pour ma première rentrée et tout, les gens, ils vont venir me parler ». Je dirais pas qu’aujourd’hui la mode, c’est ce qui me parle le plus, mais c’est ce qui m’a parlé le plus plus jeune, très, très tôt ! Et parce que oui, il y avait juste une dimension « C’est trop beau. J’aimerais trop avoir des vêtements comme ça. » En plus, je regardais des films comme « Confessions d’une accro au shopping”.

PZW : Oh j’adore ce film ! 

Chirstelle : Toutes ces choses comme ça, ou même quand il a commencé à avoir les blogueuses et tout, je regardais, je me disais : « Putain, j’aimerais trop avoir plein de vêtements comme ça. », même si maintenant ma consommation de mode est différente. Mais je ne sais pas, ça me faisait vraiment rêver en vrai, plus que d’autres types d’art, je pense.

PZW : Juste une question comme ça en aparté, mais qui sont tes créateurs ou tes créatrices préféré.e.s ?

Christelle : Ça a beaucoup changé, mais quand j’étais petite et encore maintenant, Jean-Paul Gaultier. Je pense que c’est aussi parce que c’est par ce designer-là que je me suis intéressée à la mode, mais aussi parce que par rapport aux autres maisons patrimoniales, genre Chanel, je trouvais que le fait que lui, même si aujourd’hui c’est un petit peu différent, mais pendant très longtemps, il était à la tête de sa maison. Juste, c’était incarné. Je trouve qu’il a été hyper avant-gardiste sur la question du casting, sur la question des sujets, que ses défilés, c’était des moments de société en plus d’être des moments de mode. Il y a certaines pièces de Jean-Paul Gaultier que j’ai pu avoir en vintage et tout, et j’étais en mode : « mais c’est incroyable ». J’avais lu sa biographie pas auto, mais sa biographie, ça m’avait grave touché le côté que quand il était petit, il était tout le temps avec sa grand-mère et il restait avec elle et il n’aimait pas trop parler. Je ne suis pas quelqu’un de timide pour le coup, mais je comprends qu’on puisse l’être dans le vêtement et du coup, je me dis que c’est ouf que de sa timidité, c’est tout ça qui l’a donné. Donc oui, Jean-Paul Gaultier, c’est la maison, c’est une maison qui me parle beaucoup, même si dans mon style, les gens se diraient que tu n’as pas trop le style de cette maison, mais c’est plus que ça. Après, franchement, les marques, je pense que ce qui est compliqué avec, c’est que quand tu travailles dans la mode, ton regard est biaisé parce qu’il y a des sapes et des collections que je peux trouver magnifiques. Après, quand tu connais l’envers du décor, c’est compliqué. Ou alors tu vas dire : « J’aime bien les pièces, mais la maison, elle ne me raconte rien », en termes d’histoire et de faits de société. Mais après, franchement, mes goûts peuvent évoluer, mais comme là, tu me demandes vraiment une marque, celle qui, tout au long de ma vie, je réponds toujours ça, je réponds toujours ça. Et je les trouve toujours hyper “relevant” avec ce qu’ils font aujourd’hui, les collab’ avec des plus jeunes designers. 

PZW : Donc, Jean-Paul Gaultier ! Après tu en as beaucoup cité dans ton ouvrage mais…

Christelle : Oui, par exemple, dans mon ouvrage… C’est hyper paradoxal, parce que dans mon ouvrage, au dernier chapitre, je parle d’une nouvelle génération de marques de designers français ou parisiens ou afrodescendants, afro-diasporiques. Je pense à des marques… Là, typiquement, j’ai un haut de cette marque qui s’appelle Ômol. Là, on est à L’Union (Union Jeunesse Internationale), donc, pour moi, Maison Château Rouge, en tout cas, sur la question du vêtement, c’est autre chose, mais sur la question de l’histoire et de l’impulsion que ça rapporte, à chaque fois, je me prends des claques et je me dis : « Purée, c’est ça, en fait ». C’est ce à quoi on aspire et c’est ce à quoi un vêtement appartient, c’est au-delà de tout ça. Parfois, tu portes un tee-shirt blanc et ok, le truc n’est pas exceptionnel, mais tu es dans la mode « Ouais, mais l’histoire qu’il y a derrière… », après bien sûr, il y a toute la question de savoir faire. Tu ne peux pas porter des sapes qui sont à des prix exorbitants et de qualité piètre. Mais voilà, des marques, je pense à Guerras Fatim, je pense à Tongoro au Sénégal. Aux US, il y a Anifa qui est américaine et congolaise. Il y a Orange Culture au Nigeria. Ou même en France, je ne sais pas, il y a Marvin Mtumo. Il y a tellement de marques qui me parlent et en même temps, le truc, c’est que le STEP entre être une marque qui fait rêver et une marque qui devient industriellement présente, c’est des mondes différents. Mais oui, après, je pense qu’on peut le voir dans le livre, il y a des marques qui sont les marques d’aujourd’hui, mais aussi celles de demain, j’espère !

PZW : Tu disais que ce n’était peut-être pas si exceptionnel d’écrire un livre, mais en même temps, ça l’est aussi. Du coup, je voulais savoir qu’est-ce qui t’as fait écrire ce livre, même si tu y réponds beaucoup dans l’ouvrage en lui-même. Et surtout, qu’est-ce que ça fait d’arriver à unir plusieurs parties de toi et expériences, coucher sur du papier et rassembler en un objet si sacré et précieux, parce qu’on sait que le livre, ça reste quand même un objet assez… Je ne dirais pas élitiste, mais en tout cas, en France…

Christelle : Oui, il y a une aura aussi. C’est un peu genre “les lumières” (rires)

PZWFranchement, il y a le livre et peut-être la baguette ! (rires) Mais le livre, de façon générale, dans le monde, c’est quelque chose qui parle à tout le monde, je pense, et surtout qu’il est porteur de plein de choses, de savoirs, de cultures. C’est précieux, c’est petit, mais en même temps, ça engage beaucoup de choses, un livre. 

Christelle : Mon processus d’écriture, ce qui s’est passé, c’est qu’il y a quatre ans, je suis rentrée à l’Institut français de la mode, qui est une très grande école de mode à Paris. 

PZW : Tu es rentrée en tant qu’étudiante ?

Christelle : J’étais étudiante en master mode design et luxe, le master un peu historique de l’école. Pour les personnes qui ne connaissent pas forcément l’IFM, l’Institut français de la mode, c’est une école qui a été créée en 1986 entre le ministère de l’Industrie, le ministère de la Culture et Pierre Berger de la maison Saint-Laurent. L’objectif, c’était à la fin des années 80, il y avait une volonté de structuration de l’industrie de la mode et de créer une nouvelle « élite managériale » pour ces maisons. Donc, c’est un peu comme je te disais juste avant, il y a un step entre être une maison qui fait rêver et une maison qui devient industrielle. En fait, cette école a été créée pour ça. Ce qui fait que je le dis souvent en riant, mais je ne pense pas du tout que ce soit faux. Pour moi, l’IFM, c’est trop la mafia de la mode.

PZW : Aïe aïe aïe ! 

Christelle : Je ne dis pas ça au sens négatif, mais plus je me dis… En fait, il y a des gens qui ont été mes profs à l’IFM ou des intervenants où je me suis dit : « Si j’avais dû un jour que j’allais te rencontrer… ». Quand j’étais à l’IFM et d’autres gens avec qui j’étais dans la classe, je pense que j’étais pleine d’audace parce que je me disais, la vérité, c’est que ces gens-là, il y a plein de moments, tu t’es dit : « J’aimerais trop les rencontrer pour leur dire ça, ça, ça. » Que ce soit des trucs en mode : « Ce que vous avez créé, ça m’a touchée. » ou « Vous avez pris ça comme décision ». Je trouve que c’est un peu tendancieux, je ne sais pas, bizarre et tout. Quand tu es étudiant, tu as le droit d’être dans cette position-là un peu de critique, là où en entreprise, tu ne peux pas faire ça. Si tu as la même personne en meeting, tu ne vas pas lui dire « J’ai vu votre campagne, c’était un peu… » on va te dire : « Mais en fait, qui te paye ici ? » (rires) Donc, à l’IFM, il fallait faire un mémoire de fin d’étude qu’ils appellent « thèse professionnelle ». Ce n’est pas du tout comme une thèse doctorale et tout mais c’est plus poussé qu’un mémoire d’école, ce qui fait que t’as une partie documentaire qui est hyper importante. Et là, par exemple, dans le livre, il y a beaucoup de gens qui m’ont dit « Mais t’as tellement de références dans le livre ». Et j’ai dit : « Mais genre, il y a moitié moins de références que dans mon mémoire ». J’ai dû tellement couper de références, parce que je me suis dit : « Mais les gens  ne veulent pas lire un dictionnaire ».

PZW : Ça dépend des personnes. J’ai bien aimé lire toutes ces références !

Christelle : Je ne parle pas comme ça. Je vous dis les choses, mais il y a des faits derrière lesquels je me repose. Donc oui, il fallait faire cette thèse professionnelle et moi, tout de suite, je me suis dit… Un peu avant la rentrée, j’y pensais en me disant : « Qu’est-ce que je vais faire ? » Je me suis dit : « J’ai envie de faire, traiter un sujet qui touche vraiment ma personne…Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui je fais un master en école de mode alors que j’ai fini mes études, que je pourrais travailler directement et travailler dans la mode, ça n’empêche pas ! 

PZW : Tu as fait quoi avant ? 

Christelle : Après le bac, j’ai fait une prépa éco. Après, j’ai fait une école de commerce et après, j’ai fait l’IFM. 

PZW : Ah oui oui, tu as charbonné !

Christelle : J’ai fait sept ans d’études. L’IFM, pour moi, c’était plus un un rêve d’ado de la faire, que juste me dire : « Il faut que je complète comme ça sur le monde du travail ». Même si c’est aussi le cas, mais il y avait aussi de ça. Au début, je naviguais un peu. Je me suis dit que je vais peut-être faire un mémoire sur la question noire dans la mode, mais en fait, c’est beaucoup trop large. Peut-être un mémoire sur les magazines et la question noire parce que j’en avais beaucoup, mais les magazines, c’est vaste. Est-ce que tu parles des stylistes ? Est-ce que tu parles des journalistes ? Est-ce que tu parles de l’aspect business commercial ? Et finalement, j’ai choisi les mannequins parce que je me suis retrouvée chez moi un peu avant la rentrée, je regardais ma bibliothèque où il y a beaucoup de magazines et je me suis dit : « Mais en fait, tu es fan de mode et tu sais qui sont la plupart de ces femmes dans ces magazines, parce qu’à l’époque, quand je voyais une mannequin, j’allais sur un site qui s’appelle Models.com et je regardais qui était la fille : C’est quoi ses mensurations ? C’est son agent ? C’est qui ? En mode Wikipédia et tout. Donc les filles, je les connais de nom, mais j’étais en mode : “Mais en fait, tu n’as aucune idée de ce que c’est d’être mannequin. Qu’est-ce que ça implique pour que cette image se retrouve là, chez moi ? J’ai commencé à penser au mannequinat et je me suis dit, il faut que ça touche mon identité aussi, les mannequins noires dans la mode. Et donc, au fur et à mesure de l’année, on travaille sur la mémoire, la partie documentaire, etc. La personne qui me suivait pour le mémoire ne s’y connaissait pas du tout sur le sujet, mais en revanche, elle avait une excellente méthode et elle m’a dit : en fait, ton sujet, et je précise que c’est un sujet que j’ai traité avant Black Lives Matter, et donc le soudain intérêt des gens pour la question ». Voilà ce qui fait que ce n’est pas du tout la même chose de traiter ce sujet avant où en fait, il faut prouver que déjà, ton sujet est un sujet. Avant même de dire voilà où est la légitimité, elle m’a vraiment accompagnée. Elle m’a dit : « Écoute, moi, je ne veux pas que tu te retrouves face à n’importe qui en soutenance, qui va dire votre sujet, ce n’est pas un sujet.

Donc, il faut que tu appuies d’énormément de sources documentaires, écrites, films, vidéos, archives, tout ce que tu trouves, source-le ». Parce qu’en fait, à la fin, un travail universitaire, c’est ça, c’est comment tu es capable de multitude de sources, de venir créer un écrit qui se lit. Et pour en venir plus spécifiquement au livre, ce qui s’est passé, c’est qu’en mi-juillet 2020, j’ai fait ma soutenance de mémoire, qui s’est très bien passée. Et du coup, j’ai eu mention très bien et invitation du jury sur le sujet.

PZW : Oh félicitations ! 

Christelle : (Rires) Les profs m’ont dit : « Ce qui est intéressant, c’est que votre mémoire est très bien écrit pour un travail universitaire avec autant de ressources. Vous n’avez jamais pensé à l’écriture ? ». J’écrivais déjà avant, mais je pense qu’écrire et écrire un livre, encore une fois, pour moi, c’est deux choses différentes. Par exemple, j’écris tous les jours, mais je n’ai pas écrit mon livre tous les jours. À l’époque où je travaillais dessus, je pouvais écrire sur des choses auxquelles je pensais, des poèmes, des listes de courses, des faits qui m’ont interrogé. Ça ne veut pas dire que tous les jours, je vais me dire : « Cool, je vais écrire le livre », ce qui était un tout autre truc. Et du coup, à partir de là, je me suis dit : « OK, je n’ai pas envie que mon mémoire se retrouve qu’à l’IFM ». Parce qu’en fait, quand tu as ces mentions, ton mémoire se retrouve à l’IFM, consultable. Et comme c’est une bibliothèque des savoirs de la mode aussi, il y a des professionnels qui viennent, qui prennent rendez- vous. Mais déjà, un, tu ne sais pas quand ils prennent rendez-vous pour consulter ton mémoire. Et ensuite, je me suis dit, mais ok, l’IFM, c’est l’école parmi les écoles de mode les plus reconnues du monde, mais il y a qu’une niche de gens qui va dire : « Je viens à la bibliothèque de l’IFM, je vais prendre rendez- vous ». Et donc je me suis dit : « J’ai envie de parler au plus grand nombre », parce que pour moi, c’est un sujet qui touche tout le monde. Parce qu’au-delà même de la question noire, je me dis : « La mode, ça touche tout le monde ». Même les gens qui vont… 

PZW : On s’habille tous ! 

Christelle : Même les gens qui vont dire « Non, je n’aime pas la mode. La mode, ce n’est pas mon truc ». Je vais leur dire « C’est faux ! » C’est un peu un positionnement, je ne veux pas être perçu comme quelqu’un m’y intéresse, mais la vérité, c’est que si vraiment tu n’en avais rien à faire, pourquoi si je te donne une pièce de designer, tu vas me dire non ? Parce qu’en fait, tu n’as pas envie d’être associé.e à certains trucs. J’ai fait ce processus, en gros, pour le livre, pour expliquer un petit peu aux gens, parce qu’on me pose beaucoup la question. Pendant quatre mois, j’ai cherché une maison d’édition. À l’époque, je voulais vraiment que ce soit un ouvrage universitaire, donc pas du tout ce que tu as lu aujourd’hui. Même s’il est sourcé et tout, mais je voulais vraiment que ce soit un ouvrage universitaire. Je m’étais tournée plutôt vers des maisons d’édition universitaires. Soit on ne m’a pas répondu, soit on m’a dit que c’était de niche, soit… Voilà.

Ensuite, après, j’ai compris que les maisons universitaires auxquelles moi j’aspirais, ce sont des maisons qui ne publient réellement que des universitaires en mode doctorat ou des gens qui ont déjà une portée médiatique, ce qui n’est pas mon cas. Dans les deux cas, ça n’allait pas marcher, mais je ne pouvais pas savoir. Et après ce qui s’est passé, c’est qu’il y a deux ans, en février 2021, j’ai fait un podcast qui s’appelle “The Good Good”, on m’a interrogée pour la première fois sur le sujet des mannequins noires et la fin, la journaliste Victoire m’a demandé ce que je voulais en faire. Je lui ai dit que j’avais le projet de poursuivre en édition, mais que pour l’instant, je ne trouvais pas trop. Et en fait, elle avait une amie qui était agent littéraire, elle m’a mis en contact avec son amie. Je lui ai envoyé quelque chose qui s’appelle un « dossier de soumission », juste avant ça, je voulais dire aussi que j’avais contacté une autrice qui s’appelle Laura Nsafou sur Instagram. Je lui avais dit que je voulais essayer de me faire publier, mais que ça ne marchait pas trop. Est-ce qu’elle avait des conseils ? Elle m’a expliqué ce qu’était un dossier de soumission pour le faire, c’est comme ça que j’ai pu l’envoyer à la personne qui est devenue mon agent après. Et je lui ai renvoyé mon mémoire, mais il s’est quand même passé quatre mois entre le moment où je l’ai envoyé et lorsqu’elle m’a répondu, parce qu’elle avait plein de trucs à gérer. Moi, je me suis dit : « OK, on m’a ghosté encore une fois ». Et au bout de juin 2021, fin juin, elle m’a répondu en me disant qu’elle trouvait que c’était hyper intéressant, qu’elle avait envie qu’on travaille ensemble, mais que le chemin est encore très, très long pour que ça devienne un livre éditable. Et donc on a commencé à se voir pendant, je pense pendant deux mois, une fois par semaine ou un truc comme ça. Plutôt de mon fait à moi, parce que j’étais dans une perspective où je sais que je vais traiter d’un sujet et que je suis aussi une personne qu’on peut très facilement instrumentaliser. En fait, on va dire, ok, c’est un livre qui parle de la mode, dès que ça parle de mode, les gens aiment trop commencer à parler n’importe comment. C’est un livre qui parle de la question des femmes noires, c’est un livre qui parle de queerness, c’est un livre qui parle de santé mentale. Je suis une femme noire, je me suis dit, en fait, là, il y a tout ce qu’il faut pour créer les problèmes. Vraiment, je me suis dit :  je sais de toute manière que je ne peux pas contrôler l’image que les gens ont de moi et la réception médiatique, mais je me suis dit quitte à faire ça, il faut que tu travailles avec un agent qui va comprendre que tu ne vas pas faire des trucs parce qu’il faut faire, que tu passes sur tel plateau, parce que le sujet, il faut que dans le livre, tu ne peux pas écrire ça comme ça, c’est un peu trop touchy pour les gens. Je voulais qu’elle apprenne à me connaître, moi, et qu’elle voit tout ce qui fait que je suis qui je suis, pour ne pas qu’elle se dise qu’on peut la mettre là, dans cette case, et elle ne va pas en sortir. Après, j’ai compris qu’on s’entendait bien, qu’il y avait un feeling et tout. Donc je me suis dit : « Ok, vas-y, on va bosser ensemble ».

J’ai commencé à écrire l’intro qui est presque texto l’intro qu’il y a dans le livre aujourd’hui. J’ai écrit il y a deux ans, en septembre 2021, une petite partie du plan. Et en fait, ce qui s’est passé c’est qu’elle m’a beaucoup fait réfléchir à pourquoi j’avais envie d’écrire ce livre, pour qui j’avais envie d’écrire ce livre, parce que, un, pour écrire un livre, il faut que ce soit un livre ou soit un album je ne sais pas, un projet qui dure longtemps, il faut vraiment le vouloir, parce qu’en fait, si tu ne veux pas, tu vas lâcher le truc. Et là, le projet, il sort maintenant, mais en fait, ça fait trois ans que je travaille dessus. Donc, tu te dis, si tu n’as pas les convictions, tu ne vas pas tenir trois ans. Là, tu vois, les gens, ils disent sur Insta, trop cool, elle a des articles, son truc qui sort, ils voient des choses cool. Et moi, je suis contente aussi qu’ils voient ça. Mais je me dis, mais si vous saviez le nombre de fois, je me suis dit, mais qui t’a envoyé pour écrire ce livre ?

PZWJ’allais te poser la question : est-ce que tu as eu des moments de doute ou de désespoir ou la peur de ne pas pouvoir être comprise ou même de ne pas te faire entendre ?

PZW : Je fais pareil ! 

Christelle : Ce n’est pas quelque chose qui me convient. Et quand j’ai présenté mon premier chapitre à mon agent, elle m’a dit : « On ne comprend pas à qui tu parles.» Et du coup, rétrospectivement, j’ai compris ce qu’elle m’avait dit, mais au début, je me suis dit « Purée, mais en fait, à qui elle pense que je parle dans le livre ?»

Christelle : Ouais, en fait, à la fois c’est assez clair, mais je pense que ce n’est pas tant pour qui est-ce que je parle, ce que je cherche à dire. Je pars du principe, et je dis souvent aux gens, je parle à partir de ma propre position dans la société, d’être une femme noire, etc. Donc, je sais que des personnes ayant le même vécu que moi peuvent se reconnaître dans ce que je vais écrire, mais la vérité, comme je te le disais avant, par exemple, avec l’histoire de mon parrain et ma marraine, etc, j’ai aussi des perspectives qui font que je vois les choses différemment. Par exemple, souvent, on parle de grandir en tant que personne noire dans la société française, qu’on fait partie des rares personnes noires ou racisées. Je dis toujours aux gens, et c’est assez différent parce que, chez moi, la blanchité, c’est aussi la proximité. Parce que les premiers « vrais » grands-parents que j’ai eus, c’est les parents de mon père et ma marraine, les trucs familiaux. Se dire qu’il y a des expériences parfois où je parle avec des amis qui peuvent être noir.e.s et adoptés, où ils se disent : « C’est marrant que tu me dises ça, parce que moi aussi », après ils me disent : « Mais c’est c’est qui tes parents ? » et je dis « Mes parents, ce sont des personnes noires. » Après, ils me disent : « Mais c’est bizarre. » Puis après, on en vient à parler de ça, ils me disent « Ah, OK, je comprends mieux. » Sauf que moi, ma différence, c’est que je ne suis pas une personne adoptée, donc je savais qui étaient mes « parents » et je savais qui ne l’étaient pas. Ça veut aussi dire que plein de fois, en étant jeune, j’ai pu me retrouver en tant que seule personne noire dans des espaces blancs, mais pas me sentir en danger. 

Christelle : C’est une proximité ! Mais après, ça ne veut pas dire qu’à un moment, tu te sens pas en danger, parce que les gens en face de toi, ils peuvent pas savoir. C’est-à-dire qu’ils peuvent te coller des trucs et que je sais aussi que je suis noire, que je suis d’origine congolaise, que machin. Je commençais pas non plus à dire : « Mon père et ma mère, ils sont blancs, du coup, moi, je suis blanche ». C’est pas du tout ça. C’est juste que je l’ai vu et mes parents ont dit une fois : « Christelle a une manière de se déplacer dans l’espace, qui n’est pas comme nous. » Parce que j’ai compris assez vite que mes parents, c’est mes parents. Il y a des choses qu’on fait avec mes parents, il y a des choses qu’on ne va pas faire avec mes parents, mais dans l’autre sens, c’est des choses que je ferai avec mon parrain et ma marraine. Comme ma mère me disait à chaque fois que tu venais en vacances, tu disais : « Je vais bronzer sur la plage. » Tout le monde se demandait ce que je faisais. Mais je le faisais parce que ma marraine le faisait

PZWOui, la question, c’était… Tu y as beaucoup répondu, mais la peur de ne pas être comprise et de te faire entendre !

Christelle : Oui, je pense qu’au-delà d’avoir peur d’être incomprise, j’avais peur qu’on me dise « Chris t’abuses » « Christ t’abuses ! » ma première peur, je me suis dit « Le livre va sortir, je vais me retrouver en top tweet, la fachosphère va trouver mon adresse, ils vont trouver, comment je vais faire ? » Mais vraiment, se dire que j’ai fait des cauchemars de ça la nuit, quand j’ai commencé à rencontrer la maison d’édition, j’ai traîné pour donner un accord et tout. Parce que j’étais en mode : « Tu peux pas t’engager dans quelque chose si après t’as pas les épaules pour. » Et je savais que j’allais pas écrire un truc à côté, que vraiment, j’allais aller tout droit. En fait, si tu vas droit au but, il faut juste que tu réfléchisses dans ta tête ce que ça veut dire. Et évidemment, dans la France d’aujourd’hui, je ne suis pas non plus débile, ce n’est pas la question de devenir une personne médiatique, c’est juste que les mots, ont un poids, d’un sens comme de l’autre, que ça peut mettre en danger des personnes. À vrai dire, ma peur n’a pas vraiment été que les gens ne me comprennent pas. Je me suis plutôt dit « il y a un public de gens » qui vont très bien comprendre ce que je vais dire et que ça va tellement les excéder que je ne sais pas ce qui va commencer à se passer. Mais après, il y a des autrices que je connais qui ne sont pas que des autrices noires, mais en l’occurrence, là, c’est plutôt les autrices noires que je vais mentionner. Pour dépasser la peur, je leur ai écrit : « Écoutez, je vais avoir un contrat d’édition sur ça, mais j’ai peur d’écrire. C’est quoi vos conseils ? » Parce que le sujet est très frontal et je pense que je ne peux pas faire ça en me disant que tout se passe bien dans le meilleur des mondes. Même si pour l’instant, je touche du bois, mais on n’est qu’au jour 1, attendons un peu. Et en fait, elles m’ont donné énormément de conseils en me disant, dans un premier temps, concentre-toi sur ce que tu as à dire et ne te concentre pas sur l’extérieur parce que sinon, tu ne vas rien écrire du tout. Ça va être moyen, tu vas le sentir toi-même. Et oui, donc les moments de doute sont arrivés à pleins d’endroits, autant au début qu’au moment de signer avec l’éditeur, je me suis dit : « OK, maintenant, tu signes avec des gens dont c’est le travail de vendre ton livre, ça veut dire que tu peux plus disparaître comme ça », parce qu’eux, ils attendent « quelque chose de toi ». Ça a été aussi dans l’écriture, dans les moments où…Ce qui se passe avec mon processus d’écriture, c’est que dans le livre, il y a dix chapitres, je crois, et moi, j’ai écrit presque tout deux par deux. 

PZW : Ça se suivait souvent. 

Christelle : Voilà, mais ça ne veut pas forcément dire que… Ça ne veut pas forcément dire que j’écris de manière linéaire. Par exemple le chapitre sur Naomi, c’est l’un des derniers chapitres que j’ai écrit alors qu’il est au milieu du livre. J’ai une écriture très nerveuse. C’est-à-dire, j’écris d’un trait, par exemple, les deux derniers chapitres du livre, je les ai écrits la même semaine, mardi-vendredi, 22h00-6h00 du matin, c’est terminé ! Après, on a juste relu. Par exemple, les deux premiers chapitres, hormis l’intro, je les ai écrits en août de l’année dernière sur dix jours, que j’écrivais la nuit, pareil. Et après, pendant deux mois et demi, je n’ai rien écrit, à la fois parce que tu es drain par la chose, comme si’l n’y avait plus rien dans le cerveau, donc juste, viens vivre ta vie avec tes potes, etc. Et aussi parce que plus tu arrives vers la fin et plus tu comprends qu’un jour, il y a d’autres gens que toi qui vont lire ce que tu écris. 

Et donc ça met une pression supplémentaire, parce ce que tu dis que t’écris pour toi, mais écrire un livre, ça veut dire que tu acceptes que le public te lise. Donc, si tu n’es pas capable d’accepter la critique et le regard des autres sur ton écriture, ce n’est pas un livre que tu dois écrire. Il y a des notes dans mon téléphone et jamais de ma vie elles ne vont sortir. Même pour moi, les relire, je vais me dire : « Je suis en train de me juger ». J’ai eu plein de moments de doute, je pense que les deux derniers chapitres, j’ai mis deux mois et demi à les écrire. Quand je dis deux mois et demi à les écrire, ce n’est pas que j’ai commencé et puis ça a traîné. C’est j’arrivais sur mon téléphone, il n’y avait rien qui sortait. Je me disais vraiment, ces chapitres-là, tu sais quoi même ? Enlève-les du sommaire, si ça fait autant de temps que t’y arrives pas. Et puis, j’ai compris que parfois, on emmagasine tellement de choses à l’intérieur de soi-même, mais qu’il n’y a pas encore le déclic qui peut faire en sorte que ça sorte et que moi, les déclics qui peuvent venir par des discussions avec des amis, ils peuvent venir par…On en parlera sûrement après, mais le chapitre « Nepo Baby », c’est quand il y a eu la une de du New York Magazine

PZW : C’était incroyable !

Christelle : Je me suis dit « C’est tellement drôle. Quand est-ce qu’il sort l’article sur ça en France ? ». J’ai attendu, ce n’est pas sorti !

PZW : Jamais !

Christelle : Donc, j’ai fait un chapitre, à peut-être différents moments, mais je pense que le doute dans la création, c’est normal et c’est aussi ce qui permet de rester humble. Je me dis j’ai écrit un livre, mais je sais que c’était très dur d’en arriver là et que rien n’était programmé pour aller au bout du bout du bout, parce qu’à la fin, quand j’ai écrit la dernière ligne du livre et j’ai relu, j’ai méga pleuré.

PZW : Oui c’était très émouvant ! Même moi j’avais quelques larmes. 

Christelle : J’étais tellement chez moi en mode « j’ai pleuré, j’ai fini ». C’est un peu comme une dissociation. Comme si la personne qui écrit, ce n’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre qui est sorti de moi. Et du coup, je pense que pour les gens qui créent et tout, le doute, c’est normal, d’autant plus aujourd’hui avec la question des réseaux sociaux. Je pense que parfois, on voit le résultat du travail des gens et on se dit « Ils arrivent à faire ci, ils arrivent à faire ça ».

C’est pour ça, pour moi, c’est important de partager mes doutes et le processus créatif, parce que je trouve que c’est très libérateur de voir que moi aussi, j’ai galèré, que c’était difficile et que j’ai surtout été bien entourée, mais que peut-être il y a des moments, je n’ai pas écrit pendant deux mois et demi. On est tous un peu comme ça et c’est ce qui nous rend humains. Et je pense que c’est mieux que de dire : « J’ai écrit le truc en un trait » et du coup, tenez, en mode est-ce que les gens vont dire « Moi aussi, je peux le faire un jour », je ne crois pas. Même les gens qui écrivaient des livres avant, je me disais « Vous êtes des gens autres » alors que typiquement, ma mère écrit des livres aussi. Mais je me dis toujours, il y a ma mère et la personne qui écrit le livre, ce ne sont pas les mêmes personnes. Parce qu’en vrai, tu n’es pas pas la même personne.

PZW : Merci d’avoir répondu si longuement, c’était très intéressant ! Comme tu peux l’imaginer, j’ai le livre en PDF. J’ai surligné, souligné, j’ai écrit plein de choses. Lors de la lecture de ton livre, il y a des passages qui m’ont touchée et interpellée, tant pour leur justesse et les analyses qui étaient derrière. Il y a un fait qui revient, qui est très commun au livre, c’est le fait d’être noir-e. Je pense qu’on avait capté. Je pense que c’est sûrement l’un des points les plus déterminants de ton livre, en plus du fait d’être une femme, de s’identifier comme femme. Je voulais savoir : est-ce que tu as réussi à trouver ta place ? Est-ce que tu penses que tu vas réussir ou que tu réussis enfin à te trouver une place, ne serait-ce qu’en France ou à Paris, en tant que femme noire ?

Christelle : Cette place, je pense que je l’ai trouvée avant même d’écrire le livre et je vais d’abord répondre à ça. Je pense que j’ai trouvé cette place avant d’écrire le livre, mais que c’est arrivé un peu tardivement. C’est très bizarre, mais en 2020, à la sortie du Covid, je me suis dit : « Il n’y a plus de temps pour le mépris de cette société-là. Moi, je suis là, je suis là. Vous voulez plus que je sois là, je serai là. Vous voulez plus qu’on soit là, je serai là. »

PZW : La vie ! 

Christelle : Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Quand je partirai en vacances ailleurs, à mon retour, Paris ce sera toujours chez moi. À Paris, j’habite dans le même quartier depuis presque dix ans. J’ai beaucoup déménagé, en fait Paris, c’est la ville où j’ai vécu le plus longtemps d’affilée de ma vie par rapport aux autres villes, ce qui fait aussi que moi, j’aime bien la vie de quartier, genre mon boulanger, mes trucs,, la librairie, le mec de la supérette. Et parfois, je me dis, c’est ça aussi trouver sa place. Tu vas dans un endroit et tu sais que les gens, ils te reconnaissent, ils savent qui tu es, ils demandent tes nouvelles, tu leur demandes leurs nouvelles.

Et ce n’est pas une circulaire qui va changer ça. Je pense que je l’ai trouvée à la fin du Covid, parce que pendant le confinement et justement avec le mémoire, parce que ça a coïncidé confinement, violences policières, Black Lives Matter, les manifestations Justice pour Adama, etc. Ça a été un moment hyper difficile, c’est là, en fait, où je me suis posée la question : « Mais qu’est- ce que je fous là ? ». Si les gens ne veulent pas qu’on soit là, c’est bon, on va partir. À un moment, j’ai habité à Berlin quand j’étais en stage, je me suis dit : c’est bon, moi, je repars, c’était très bien là-bas. Et en fait, je crois qu’au mois de juin 2020, j’étais tellement vénère que je me suis dit « Mais en fait, si on part, c’est trop facile ». En même temps, ce n’est pas une injonction. Si les gens qui ont les moyens de partir et qui sont oppressés peuvent partir, partez, c’est mieux pour vous. Ce qui compte, c’est la paix et la liberté. Mais moi,  j’en avais marre qu’on nous efface tout le temps, j’en ai marre qu’à longueur de journée, on nous dise « Vous êtes les premiers à faire ça. » C’est pas que j’ai trouvé ma place, je me suis fait ma place pour moi-même. Depuis 2020, j’ai approfondi certaines relations amicales, j’avais déjà des amis avant, mais je pense que j’ai approfondi certaines relations amicales que j’avais et d’autres des gens que j’ai rencontrés par des projets créatifs que j’ai pu avoir et je me suis dit qu’on était vraiment une génération dorée. Une génération de fous. Et ce n’est pas pour diminuer les générations précédentes, parce que chaque génération est différente, que je pense que toute génération qui se suit est dorée, vraiment.

Cette ville et ce pays, ils sont à nous comme les autres et c’est tout. Je ne dis pas plus. Je ne suis pas en train de dire qu’on est là avant vous. Et je pense que je n’aurais pas écrit le livre si je ne m’étais pas fait ma place avant, pour moi. Parce que je pense que c’est un livre qui est très dur à écrire si tu cherches ta place. Parce que c’est un livre qui est tellement dans l’affirmatif. Même si en même temps, je dis que deux choses contraires peuvent exister et qu’on peut vaciller. Mais le livre, je pense qu’il m’a aidée à me conforter en trouvant toutes ces ressources, toutes ces personnes, en discutant, en me disant : « Ta place, elle est là, mais elle peut aussi être là-bas si tu as envie d’aller là- bas. Elle peut aussi être là- bas, mais que… » ouais, on est là et c’est juste un fait ! Et les gens qui veulent contredire le fait, c’est autre chose.

PZW : J’allais poser la question d’ailleurs. Tu disais qu’il y avait beaucoup de faits, il y avait beaucoup d’histoires. Ton livre est très chargé. J’ai qualifié ça d’encyclopédie historique et artistique, mais c’est surtout un recueil de pensées et anecdotes. Comment es-tu arrivée à questionner tous ces moments de ta vie et les personnes que tu as interrogées aussi et que tu nommes dans ton livre ?

Christelle : Pour les moments de ma vie, ce qui s’est passé, c’est que ce sont des moments qui sont arrivés au fur et à mesure de l’écriture. Pour le coup, oui, j’avais un plan, mais déjà, il y a des chapitres qui sont partis, des chapitres qui ont été ajoutés parce que ma vision sur les choses avait changé. Je ne me suis pas dit par exemple : « En partie A, tu vas parler de ça, en B, tu vas parler de ça. » Donc c’est vraiment au fur et à mesure, je pensais à, je ne sais pas, telle thématique sur Naomi Campbell et je me suis replongée dans mes souvenirs, mais en écrivant, en me disant « C’est quand la première fois que tu as su que cette personne existait ? » ou « Pourquoi est- ce que tu avais cette vision-là sur elle, sur les choses ? » Pour les personnes que j’ai interrogées, ce sont toutes des personnes avec qui j’ai discuté en 2020 au moment de mon mémoire. Et parfois, je me dis c’est fou, ça fait trois ans…Ce sont des entretiens qui ont trois ans d’existence, mais qui sont toujours aussi actuels. Comment ça s’est passé ? Je leur avais envoyé des mails ou des DM sur Insta : « Salut, je fais mon mémoire sur ça. J’aimerais bien vous interroger et voici le sujet. » Et donc presque tous les entretiens, hormis celui avec Rebecca Ayoko qui était en physique, c’était soit en visio ou par mail. Je pense que tous les entretiens restent des moments hyper forts, pas juste pour le livre, mais pour moi à titre personnel, dans ma vie, parce que tu te dis que parfois, tu ne sais jamais mieux les choses que par les gens qui sont témoins de l’histoire et que surtout sur ce sujet, c’est le cas. À l’époque, j’avais travaillé mes questions comme on travaille des questions de mémoire universitaire. En plus, j’étais très stressée avant tous mes entretiens. Du coup, j’avais ma liste de 10 questions et je disais « Bonjour, je vais vous poser des questions sur ça ? » ou par exemple l’entretien avec Anaïs Mali, l’une des mannequins. J’avais des posters d’elle dans ma chambre quand j’étais ado. Je ne lui ai pas dit, je ne lui ai jamais dit. Mais du coup, pour moi, je me disais « Mais tu fais un appel avec elle pendant deux heures et elle répond à tes questions et elle te dit non, vas-y, continue. » Donc j’étais hyper impressionnée, mais en même temps, j’étais en mode « Je viens pour recueillir des faits. » Pour mêler les deux, par contre, ce qui s’est passé, c’est que comme vraiment je partais du mémoire en lui-même sur les ressources, j’ai enlevé les ressources dont j’estimais qu’il y avait parfois d’autres livres qui en parlaient mieux que moi. Je pense que dans le mémoire, il y avait un beaucoup plus grand paragraphe sur « C’est quoi la misogynoire ? » puisque je m’adressais à des profs qui ne savaient pas forcément. Dans le livre, je me suis dit « Si tu ne sais pas, il y a écrit une petite note en dessous et si tu ne sais pas, tu Google. Et comme je le dis, il y a tellement de ressources que je cite et je le dis plein de fois dans le livre, d’autres personnes en parlent mieux que moi. Petite note de bas de page, voilà il y a cinq livres, vous pouvez lire ça. Il y a des podcasts, allez-y ! Sinon, après, tu ne peux pas avancer dans ta réflexion si à chaque fois, tu te dis : Je vais expliquer c’est quoi le racisme ? C’est quoi la misogynoire ? C’est quoi le truc ? Donc oui, ça s’est articulé entre les deux. J’ai aussi essayé de mixer des types de ressources. Parfois, les sources, c’est un thread sur Twitter. Parfois, c’est un livre. Parfois, c’est une vidéo YouTube. Parfois, c’est un truc universitaire, parce que c’est comme ça que je me renseigne.

PZW : Je suis contente que tu l’aies fait, que ce ne soient pas que des ressources hyper poussées ! 

Christelle : Oui, c’est ça. Et que je pense aussi que c’est ça qui fait en sorte que ça va décomplexer les gens sur le savoir. C’est qu’en fait, les threads de Twitter, je dis, c’est hyper intéressant. Les gens disent des vraies choses. C’est juste que les maisons d’édition ne courent pas derrière les gens pour dire « Oui, j’ai vu votre thread, c’est génial, on pourrait vous publier. » Et je trouve que c’est dommage. Donc non, il faut multiplier les types de ressources et les niveaux de langues de ressources, parce que c’est ça qui fait qu’un livre parle aussi au plus grand nombre.

PZWJe voulais savoir qu’est-ce que ça fait de travailler dans la mode en 2023 ? En tant que toi, je ne sais pas si je peux me permettre, en tant que femme noire et en tant que femme queer, lesbienne, est-ce que le plafond de verre est toujours aussi opaque et épais ?

Christelle : Le truc est que je travaille dans la mode et en même temps, je suis un peu de côté. Par exemple, mon job de tous les jours, je suis responsable communication dans une boite qui est dans la tech et en même temps dans la mode. On fait des trucs tech, des solutions technologiques, etc, pour des marques de mode, ce qui fait que je suis entre les deux et qu’au moment de mon choix, genre « Tu vas faire quoi ? Un job full time ? », j’ai compris très vite que je n’irai pas dans la mode pure et dure parce que ce n’est pas ça mon endroit de confort au travail. 

PZW : Ça répond un peu à la question !

Christelle : Mais pas que, en fait c’est tellement de couches. Ce n’est pas juste la question « Être une femme noire, queer, lesbienne », la hiérarchie, je veux bien, mais il y a hiérarchie et hiérarchie. C’est plutôt une question de hiérarchie et de souplesse d’esprit. Aujourd’hui, je travaille, j’ai une manager, j’ai un CEO, il n’y a pas de souci. Chacun sait ce qu’il fait, mais maintenant, si j’ai des choses à proposer, c’est des gens qui m’écoutent dans ce que je propose, qui parfois peuvent me dire « Non, Christelle, là, ce n’est pas vraiment ça » ou « retravaille un peu ton truc », mais ça veut dire que moi aussi, je peux les challenger sur ce qu’ils me proposent. Ce n’est pas le cas de beaucoup d’entreprises, et pas que dans la mode, mais aussi beaucoup dans la mode et pour des raisons qui sont que la mode, c’est une industrie qui se fonde sur la tradition et que la tradition, c’est le respect des règles. Et que quand tu sors des règles, c’est quand même pour revenir dans la règle. Par exemple, on va prendre un directeur artistique qui va être un peu innovant, mais il faut quand même qu’il s’inspire des archives de la maison. C’est tu sors, mais tu reviens. Personnellement, en cheminement de pensées, ce n’est pas trop un truc que j’aime, de sortir et de revenir.

C’est juste, je sors, je reviens pas (rires) c’est vraiment ça ! Forcément, ce n’est pas là où je me retrouve. Parce que je fais aussi pas mal de choses en freelance pour des marques de mode ou des trucs comme ça, là ma différence, ce sont des gens qui viennent me contacter moi, Christelle, Chris. Donc, en fait, le rapport est méga différent. Ce que quelqu’un pourrait vivre parce que la personne a passé un entretien et qu’elle se fait toute petite, si tu me demandes un truc à faire en freelance, mais que je n’ai pas envie de le faire, qu’à un moment dans la mission, tu m’as saoulée, je vais dire oui, je vais aller jusqu’au bout parce que je suis professionnelle. Après, je vais dire flemme, je ne vais pas retravailler avec cette personne. Aussi parce que ce n’est pas ça mon job full time, donc forcément, je n’ai pas le même plafond de verre. Et je pense aussi que j’ai compris très vite que pour pas qu’on me mette dans une case, il fallait que je sois à plusieurs endroits et à plusieurs moments. Par exemple, avec mes potes avec qui j’ai fait l’IFM, je suis la meuf de la mode qui travaille dans la tech. Pour les gens de ma boîte un peu tech, c’est la meuf de la mode. Pour d’autres gens, c’est la meuf qui fait des trucs par-ci par-là, on ne sait pas trop. Je pense que j’ai bien conscience que toutes ces dynamiques dont je parle dans le livre, ont un impact sur moi, mais c’est un peu comme si je passais en travers. Si je sais que ça va trop me poser un problème, je sors ! Je dis « OK, moi, je ne veux pas souffrir. » Et il y a des gens qui m’ont dit : « C’est marrant, tu as fait de l’IFM. Pourquoi tu n’es pas allée travailler dans une grande maison ? » J’ai dit  : « Je veux vivre longtemps.» (rires) Je parle beaucoup de la santé mentale dans le livre et je pense que ce n’est pas que la mode, mais je pense que déjà, vivre dans cette ville, c’est un bon challenge pour la santé mentale tout le temps.

PZW : C’est clair, c’est clair ! 

Christelle : Je me dis qu’il faut limiter les sorties de route et que de toute façon, des moments difficiles, tu en auras, comme tout le monde. Je pense que la taille des structures dans lesquelles tu travailles est importante. La boîte où je suis, quand je suis arrivée on était 10, maintenant on est 60. Quand tu viens au tout début d’un truc, ce n’est pas la même chose. En vrai, je pense que ma stratégie dans le travail en règle générale, c’est ça, c’est soit tu viens me chercher, tu sais qui je suis, donc je ne vais pas faire trop de compromis ou pas du tout parce que tu savais. Je n’ai pas menti, je n’ai pas vendu un truc qui n’était pas ça. Et que comme j’étais là depuis le tout début, ça veut aussi dire que tu sais quel type de personne je suis et que tu as appris à me connaître, qu’on évolue et que je pense que c’est aussi une chance de pouvoir évoluer dans ça, parce que ce n’est pas tous les corps de métier où tu peux travailler dans des structures, où c’est petit, où les gens te connaissent.

PZWJe voulais te demander : Qui sont tes mentors et tes allié.e.s ?

Christelle : Franchement, j’en ai plein. Déjà, en vrai, je suis une fan girl. C’est-à-dire qu’il y a quelqu’un qui fait quelque chose que j’aime bien, je te connais, je te connais pas, je vais te dire sur Insta, dans la rue. La plupart des personnes qui sont devenues parfois des amis ou des mentors, c’est des gens de base, j’ai juste dit « Salut, j’aime trop ton taf, bonne journée, au revoir. » Mais ce n’était pas en attente de « J’aimerais bien qu’un jour on travaille ensemble. » Parce que parfois, il y a des gens tu aimes ce qu’ils font mais ce n’est pas forcément ton truc. Après ma plus grande mentor reste ma mère…

PZW : Ah mais c’est une grande mentor ! 

Christelle : Franchement, oui, une mère, c’est une grande mentor, vraiment. Déjà, on est très proches, on se ressemble aussi beaucoup. Souvent, les gens disent « Tu as la même tête que ta mère, c’est bizarre ». À ce point-là, non, non, non. Alors que moi, je trouve pas, mais… 

PZW : Après c’est un peu normal, c’est la génétique ! 

Christelle : Oui, c’est normal !  Mais vraiment, par exemple, cet été, on était au Congo, il y a un gars dans la rue, il nous arrête avec ma mère et il dit en Kikongo, l’une des langues du Congo du coup : « Mais toi, t’as volé la tête de ta mère, tu trouves ça normal ? » Tu sais, au Congo, ils sont grave dans l’interpellation des gens, donc c’est pas du tout méchant, mais je me suis dit que c’est un truc de ouf comment, où qu’on aille, les gens disent :  « Mais j’ai jamais vu des gens qui se ressemblaient à ce point-là. » Donc ouais, je pense que ma mère, c’est une mentor parce que typiquement, ma mère, c’est la première personne qui a lu le livre. Avant même mon éditrice, le livre était partagé en Google Docs partagés, donc elle l’a lu, tu vois, tout entièrement. Par exemple, ma mère écrit des livres aussi, plutôt des romans autobiographiques. Et je pensais que c’était différent d’écrire un roman autobiographique, d’un essai. Parce qu’au début, en écrivant l’essai, je m’étais dit, c’est bon, il n’y aura rien de personnel là-dedans, je voulais juste mettre des faits. Mais en fait, pour moi, parler d’un fait, pour parler d’un fait, si tu ne parles pas de comment ça t’a touché ou comment ça a touché les gens, je me dis ça n’a pas d’impact. Autant aller sur l’AFP ou Wikipédia, il n’y a pas de sentiment là-dedans. 

PZW : Tu n’es pas historienne ! 

Christelle : Oui voilà, je ne suis pas historienne non plus. Et je le dis, je n’ai pas de doctorat en sciences sociales. Donc ma mère, c’est un mentor là-dessus parce que c’est quelqu’un qui me connaît très bien, qui me comprend très bien, même si on a grandi à des moments très différents… Ouais, je pense c’est elle qui m’a toujours dit, si t’as envie de faire les choses, fais-les, mais fais juste en sorte de les assumer, d’être entièrement responsable de ce que tu fais. C’est assez drôle parce que par exemple, le chapitre « Queers invisibles », même si je me disais que ma mère, elle savait déjà un peu…

PZW : C’est ça que j’allais te dire…la maman là (rires)…

Christelle : Franchement, ma mère, elle est chill, vraiment. Ce qui est drôle, c’est que je me disais qu’avant même d’écrire ce chapitre, je pense que ma mère savait que je suis queer. Il n’y a pas de doute là-dessus ! 

PZW : Mais il faut l’annoncer !

Christelle : Oui, mais le truc avant même ça, c’est que moi, je n’aime pas trop parler de love life avec plein de gens, ni ma mère, ni parfois, j’ai des potes qui me demandent et je réponds : « I don’t know. I don’t know what that is. 

PZW : N’importe quoi (rires)

Christelle : Le truc, c’est qu’après, avec ma mère, je me suis dit « Même si je sais qu’elle sait et qu’elle sait que je sais », parce que même parfois, on fait des rêves en commun, c’est vraiment bizarre, de trouver des choses comme ça, je me suis dit : je ne peux pas sortir un livre, c’est dans le livre qu’elle lit ça. Donc, je me suis dit « Bon, vas-y, on va faire comme dans les films et tout, les gens qui font des annonces très sérieuses. Je n’ai jamais fait une annonce sérieuse à qui que ce soit. Du coup, je suis en mode, oui, c’est bizarre de faire ça. Donc, je lui ai envoyé un message sur WhatsApp, je lui ai dit « Salut, ça va ? Oui, j’écris l’avant-dernier chapitre. Ouais, tu vas apprendre peut- être des trucs dedans, mais vas-y, je suis la même avec personne. Bisous, bonne lecture. » J’étais stressée et je me suis dit « Pourquoi tu es stressée alors qu’en fait, tu sais, tu vas dire un truc, elle va dire « OK ! » c’est un peu ce qui s’est passé après, je tiens à le dire d’ailleurs. Elle m’envoie un message trop beau, « envoie-moi, quoi qu’il arrive, je t’aime, tu es ma fille.»

PZW : Oh la la !

Christelle : C’était le dernier jour de l’écrit. C’est le jour où j’ai fini d’écrire le livre.

PZW : Une mère capable !

Christelle : Déjà, j’étais hyper stressée. Après, je me dis « C’est bon, je lui envoie. » je me dis « Purée, c’est bon là, je suis trop stressée. » et après, elle m’envoie un pavé, elle me dit « Écoute, je savais (rires) Tu ne m’as rien appris. Bonne journée ! ». Je suis fière de toi, tu restes ma fille, nanani nanana, très bien ! » mais du coup, moi, à la fois, j’ai pleuré et ri en même temps. Je me suis dit « C’est quoi ces parents ? » 

PZW : Mais souvent ils savent ! 

Christelle : Je me suis dit « Vous savez, mais vous ne dites rien. Et tu me dis bonne journée. » en gros, elle m’a dit « Trace la route. » (rires) elle m’a dit…

PZW : Mais elle t’a dit qu’elle savait…

Christelle : Ouais, mais tu sais, je me suis dit « Je ne sais pas. Viens, maintenant, on fait une fête, on devient… » en plus, en vrai…

PZW : Fallait lui dire avant !

Christelle : Ouais, mais bon, tu sais, bref. Mais après, on en a beaucoup reparlé de ce chapitre de la queerness, de plein de trucs. Et en fait, juste moi, ma mère, elle m’a dit : tu sais, moi, je te connais. Elle me dit : « Je ne sais pas, on se partage plein de livres, on se partage plein de vidéos. » C’est-à-dire que moi, il y a plein de sujets liés à la queerness dont je pouvais parler à ma mère avant, je ne disais pas que je m’inclus dans la chose. Donc, en fait, je lui file des livres, il y écrit que le gars fait son coming out, que sa mère, elle rejette, elle dit, c’est trop dommage, les parents, comme ça. Mais juste, au moment où je le faisais, je ne me disais pas « Je te dis ça pour préparer », je me disais juste « moi je t’envoie ci, je t’envoie ça », « maintenant tu regardes, tu ne regardes pas » Et après on en parle. Et après juste, elle m’a dit « juste, tu me partages tellement plein de trucs que je ne sais pas si je suis…

PZW : Même pour moi, ça me semblait un peu logique !

Christelle : Elle me dit « voilà, ça me semble logique ». Elle me dit « je sais pas, c’est comme je sais que tu aimes la mode ». Tu m’as jamais dit un jour « J’aime la mode. » Juste, tu m’as envoyé des trucs. Après, elle s’est dit « ouais, elle a l’air dedans, cette fille. » Je trouve qu’en vrai, c’est assez drôle parce que de base, ce chapitre, qui ne devait pas être dans le livre au tout début, puisqu’il n’était pas dans le livre au début, pas parce que je ne voulais pas, mais juste je n’en étais pas à ce niveau-là dans ma vie. Et après, il nous devait ne plus y être parce que je n’arrivais pas à l’écrire. Que je me dis, heureusement, tu l’as écrit. C’est quand même un moment très drôle de vie avec ma mère où elle me dit « Ok cool, bonne journée ». Genre « Allez, ciao, trace ta route. » ouais, c’est assez drôle en vrai, c’est assez drôle.

PZW : Donc ton ouvrage s’attarde sur beaucoup de figures mondiales que tu nommes très fréquemment, dont Naomi Campbell, Anok Yai et même Katusha. J’ai appris très récemment comment elle est morte en lisant ton livre, donc ça m’a un peu bouleversée. Même de savoir qui était sa fille, etc, qui est une mannequin que je voyais souvent. Et donc ton livre parle aussi beaucoup d’Aya, notre star nationale ! 

Christelle : Notre reine de France !

PZW : Je voulais un peu revenir sur son cas de haine et de désamour. Je ne peux même pas parler d’amour en France, bien sûr qu’il y a beaucoup de personnes qui l’aiment, mais de façon générale, elle pâtit toujours de sa personne, de ce qu’elle incarne, tout simplement ! Je voulais aussi revenir sur l’événement la Nakamurance (en mars 2023), auquel je n’ai pas pu assister, parce qu’on travaille pour le capital (rires) Selon toi, pourquoi la France avait-elle besoin d’une figure comme elle ? Qu’une figure comme elle émerge et qu’est-ce qu’elle représente pour toi ? Parce que tu as quand même consacré un événement. Qu’est-ce que cet événement que tu as organisé représente pour toi et les personnes qui y ont assisté, tu penses ?

Christelle : Pourquoi la France avait besoin d’une personnalité comme elle ? En fait, ce que je trouve encore fou, c’est juste, je me dis, Aya, elle ressemble à des millions de personnes dans cette société. Donc, est-ce que juste par la logique des choses, ce type de personne peut exister médiatiquement ? C’est un peu comme je dis, on est là, on est là, c’est un fait. Je me dis juste, on a dû attendre tout ce temps pour qu’une figure de cette envergure émerge. Et tu dis, ce n’est pas du tout la première chanteuse noire à avoir du succès, etc. Tu as des Awa avant. Tu vois, il y a plein de gens. Mais juste, tu te dis, là, c’est à un niveau qui a tout explosé en France, à l’international. Et quand tu analyses sa musique, tu te dis même, mais comment ça se fait que ce n’est pas arrivé avant ? Parce qu’en fait, les musiques qui la nourrissent, c’est des musiques afro-diasporiques, c’est des musiques populaires américaines. En fait, c’est un mix culturel de ce que la France est aussi. Tu vois, tu vois à plein d’endroits et du coup, tu te dis, mais ça, c’est la recette pour un succès ! Mais c’est maintenant, là, dans les années 2020, fin 2010, où ce type de personnalité émerge. Évidemment, je pense que la plupart des critiques qu’elle reçoit, en vrai, ce n’est même pas parce que c’est Aya Nakamura, c’est juste c’est une femme noire en France, peau foncée, qu’elle vient d’Aulnay-sous-Bois, qu’elle n’est pas en train de dire « Oui, moi, j’adore la variété française. » Par exemple, j’adore la variété française, mais je sais très bien que si elle disait ça, ça la rendrait plus respectable d’un certain public…

PZW : Plus assimilée !

Christelle : Là où elle dit : « Non, moi, mes références à l’origine, c’est des chanteuses de zouk françaises. » Et tu te dis, c’est important qu’il y ait des gens juste qui affirment qui ils sont entièrement. Et que si tu n’es pas content, c’est pareil. À l’origine, en plus, avec Aya, avant même que sa personne ne me parle, c’était en 2017, j’habitais à Berlin, j’étais sur Deezer. Et ça a mis des sons en aléatoire. Et ça a mis “Comportement”, je crois, à l’époque. 

PZW : Ouh un bop !

Christelle : Et je me suis dit « Waouh, c’est qui cette chanteuse ? C’est trop bien, j’aime bien.» Et quand tu écoutais sur Deezer, tu ne voyais même pas la pochette du titre. C’était en mode « tous mes titres aléatoires » et donc je savais pas que c’était une femme. Mais au fur et à mesure, je me suis dit : « C’est cool cette meuf.» Et puis j’habitais à Berlin à l’époque et je voulais être très déconnectée de Paris et de la France à ce moment-là. Et juste, ça m’a trop mis la pêche. Je me suis trop dit trop mon délire. En plus, à l’époque, il y avait une vidéo sur YouTube où elle était venue rendre visite à un lycée, comme quand les stars venaient dans des lycées en mode surprise, je me suis dit, mais elle est trop marrante cette meuf. Et du coup, ouais, en fait, ça m’a parlé et paradoxalement, c’est quand je suis revenue en France en 2018, que quand j’écoutais Aya, il y a des gens, ils me disaient « Bizarre, t’aimes ce type de musique », ou quand je commençais à voir médiatiquement les vagues qu’elle se prenait, ça m’a vraiment choquée. Je me suis dit que j’étais là en Allemagne, j’écoutais ma musique tranquille, je croyais que c’était trop bien. Maintenant, tu reviens, la personne est devenue un sujet. Un sujet, il faut être pour ou contre, dire que c’est bien, c’est pas bien. Il y a plein d’artistes qui font leur vie tranquillement. Ok, ils ont des critiques musicales, ça, ça fait partie du jeu, mais là, c’était que des critiques sur son physique, que des critiques sur le comportement qu’elle devrait avoir, qu’elle ne devrait pas avoir, les réflexions. Et tout de suite, je me suis dit, trop marre d’être une femme noire en France. Quel que soit ce que tu fasses, ils ne sont pas contents. Et l’événement La Nakamurance, je l’ai fait parce que vraiment, à l’origine, j’étais juste fan de la musique. Et plus on avançait dans sa carrière et plus je me disais… C’est surtout ça, c’est que jusqu’à présent, après, ça a un petit peu changé, mais à l’époque, quand j’ai commencé à réfléchir à cette idée, j’ai réfléchi vraiment avant, mais quand je me suis dit « OK, on y va », donc en janvier 2023 avec le collectif Black Square (Blk-Sqr) et tout, j’avais lu que deux articles sur Aya qui étaient bien, dont un qui avait été publié dans The Fader par Crystall Mess, qui est française, mais qui en soit la publie dans une publication anglo-saxonne.  Ce n’est pas la France qui a pris le papier. Et après, il y avait eu un papier de Christelle Murhula chez Marie Claire en 2022, je crois.

Mais je m’étais dit, deux papiers décents pour une artiste à ce niveau-là de notoriété, les gens font quoi ? Et après, comme au fur et à mesure, j’étais déjà en train d’écrire mon livre, que je connaissais de plus en plus de gens dans les sphères médiatiques à Paris, je savais très bien pourquoi on ne va pas le pousser : non, c’est un peu trop ghetto. Non, ça ne parle pas ceci, ça ne parle pas cela. En fait, je me suis dit juste la vérité, c’est qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je veux juste qu’on fasse une fête où on célèbre, mais qu’en même temps, on puisse parler de son travail d’artiste, la question de la musicalité, les influences, définir ce qu’est sa musique, définir ce qu’est son style vestimentaire, les évolutions qu’il y a eu, les écueils qu’ils peuvent avoir. Autant je suis très fan de sa musique et de la direction qu’elle prend, autant ça ne m’empêche pas et ça ne m’a pas empêché lors des panels de dire parfois, il y a des stratégies, je n’ai pas compris, des stratégies de truc de com…

PZW : Je crois qu’elle-même ne comprend pas ! Ça revient souvent que son management est..

Christelle : Elle l’a aussi dit qu’elle n’a pas de manager, qu’elle est elle-même sa propre manager, parce qu’elle avait eu des problèmes antérieurs avec ses équipes de management, avec qui ça s’était mal passé. Je pense qu’elle a été à un moment où tu dis « Moi, je n’ai plus confiance. Je suis la seule personne en qui je peux vraiment avoir 100 % confiance. » Mais forcément, être le manager et l’artiste, c’est extrêmement difficile. Donc oui, il y a des décisions parfois tu te dis « Bizarre. » Mais en tout cas, je me suis dit, j’estime qu’il y a un moment, il faut se poser et parler de ce que ça représente en termes d’impact culturel, médiatique, musical. Il y a une grosse partie vraiment concentrée sur la musique parce que je ne voulais pas qu’on ne parle que d’elle en mode « oui, le phénomène de société », mais juste c’est quoi la musique qu’elle fait ? C’est quoi les inspirations ? Comment est-ce que ça a évolué ? Pourquoi ça parle à autant de gens aujourd’hui ? Et après, il y avait une partie quiz, karaoké, DJ set et tout. Et la réception, en vrai, c’était une claque de ouf, parce que même si j’avais envie de le faire depuis longtemps, j’étais un peu en mode « toi, t’as trop des lubies ». Tu dis « tu fais une soirée à Nakamura », tout le monde a dit « ouais, ouais, d’accord », tu vois, genre Christelle, tu pousses le truc trop loin. Et quand j’ai vu qu’on était plus de 200, que la majorité des gens, je les regardais, je me dis « mais on se connaît pas, comment ? D’où vous sortez ? », que des gens qui ne sont même pas à Paris me disent « ouais, j’aurais trop aimé à être là à Nakamura », je me dis « mais on se connaît d’où ? », mais pas en mode méchant.

Je me suis dit « Ah ouais ? Mais oui, les gens, ils n’ont pas besoin de te connaître, ils aiment bien Aya Nakamura. C’est bon, ils viennent. » et ce qui m’a aussi énormément touchée, c’est de voir qu’il y a beaucoup de filles qui étaient là en l’occurrence et beaucoup de femmes queer, je pense, noires qui étaient là et qui m’ont dit que c’était tellement agréable comme espace, c’était tellement safe place, ça m’a tellement fait plaisir, personne n’était relou. Il y a des gens, des meufs, je les ai rencontrés dans la soirée, on ne se connaissait pas, on s’est parlés, on a rigolé. Maintenant, on se parle sur Insta, je suis en mode « Ah oui ! » Les gens étaient tellement en mode « Amitié/friendly ».

PZW : Ça se sentait !

Christelle : Parfois, il y a des vidéos que je regarde, je me dis « On dirait une boum. C’est vrai, on dirait qu’on est pote, mais on ne s’est jamais vu avant. Et je pense que c’est aussi ça, en fait, ce qu’apporte sa musique, c’est que ça brasse tellement de gens différents, juste, ça te rend heureux. Et je pense qu’on aime ou qu’on n’aime pas, parce que moi, je connais des gens ou des potes qui ne vont pas à sa musique, qu’ils me disent « Je n’aime pas trop, mais… » et je leur dit que je n’ai pas besoin que tu aimes, hein ? Genre, il y a plein d’artistes, je n’aime pas, tu les adores. Ce n’est pas ça mon problème ! Moi, mon seul point, c’est que les gens disent juste « Je n’aime pas sa musique » et qu’ils ne disent pas « Non, mais elle a l’air trop bête. Non, mais vraiment, regarde comment elle s’habille. Non, mais comme elle parle. » Je suis en mode « C’est quoi le rapport? » Et oui, ça m’a fait énormément plaisir et de là, je me suis dit « C’est fou comme un truc aussi peu célébré que quand tu le célèbres, ça donne quelque chose de beaucoup plus gros. En plus, après, elle a reposté l’évènement. Je crois que j’allais m’épanouir…

PZW : C’est ce que j’allais demander, c’était quoi la portée, est-ce qu’elle a été au courant ? 

Christelle : Oui, du coup, d’abord, elle a été au courant. Je regarde, le lendemain, je vois qu’elle avait reposté en story une des filles qui avaient été à la Nakamurance, qu’il y avait une espèce de plaid derrière où il y avait Aya. J’ai vu ça dans sa story, dès que j’ai crié, je me suis dit « Putain, attends, ça veut juste dire comment elle sait que le truc il existe ! » mais je me disais déjà « I did my job, c’est très bien. » Après, je vois, elle m’envoie un message. Elle me dit : « Oh j’ai vu, merci. » Et puis elle reposte. Et moi, j’étais avec mes cousins, je leur ai dit : « Mais les gars, je vais m’évanouir. » et ils étaient là « Christelle, calme-toi. » Et je suis me dit, c’est trop bien parce que ça veut juste dire qu’elle a vu ce que c’était… On n’a pas été payés pour faire ça. Il y a plein de gens qui m’ont dit « Mais du coup, est-ce que tu vas l’inviter à la Nakamurance ? ». J’ai répondu : « Non, parce que ça devient un autre événement. Si j’invite la personne, les gens vont venir pour la voir. Et moi, je n’aurais pas envie d’avoir un accueil forcément critique. C’est très bizarre de faire une critique sur quelqu’un qui est présent. Du coup, je me suis dit : « Non, juste qu’elle sache que ça a existé qu’elle voit qu’il y a des gens qui font les choses de manière carrée. » Et après ça, typiquement, il y a dix jours, j’étais chez ma psy, elle commence à me parler d’Aya Nakamura. Elle me dit : « J’ai pensé à vous cet été, j’écoutais un podcast sur France Culture, sur Aya Nakamura et tout.» Je me suis dit « Mais what ? » Et du coup, le podcast, je l’ai écouté avant-hier. Et dedans, il y avait Christelle Murhula qui était aussi dans le panel que nous, on avait organisé et Dolores Bakela qui est journaliste musique, qui est vraiment superbe. Et je me suis dit « Six mois plus tard ! ». Je n’avais pas du tout le seum. Je me suis vraiment dit juste, c’est bien d’être pionnier parfois, c’est tout (rires) C’est bien ! Parfois, il faut se jeter des fleurs, c’est tout ! Et juste, ça m’a fait plaisir parce qu’avant, elle avait déjà eu des interviews radio dans des émissions vraiment bien. Mais ce n’est pas la même chose d’interviewer quelqu’un et de dire « On va consacrer le sujet de l’émission aujourd’hui à ce qu’elle représente musicalement, culturellement », beaucoup de choses. Donc non, ça m’a fait plaisir de juste se dire « venez, on fait un événement critique, culturel, mais aussi juste, on s’amuse ! » On s’amuse, c’est bien, les gens rigolent, voilà bonne journée ! 

PZW : Très bien ! L’essai retrace ta relation conflictuelle avec ce milieu de la mode qui est souvent qualifié de superficiel. Souvent violent comme ton livre le démontre, mais qui pourtant réunit et suscite l’engouement et l’attractivité depuis son existence. Donc, malgré cet essai, les multiples questionnements et introspections que tu as dû effectuer pour l’écrire, c’est aujourd’hui hyper intéressant et stupéfiant de voir que malgré l’histoire de la mode, ses représentations, tu lui voue toujours un amour inconditionnel. Tu vois, depuis tout à l’heure, tu es plein d’entrain. L’essai est quand même… 

Christelle : C’est lourd ! 

PZW : Et il y a beaucoup de choses très, très tristes aussi. Et pourtant, tu as toujours l’air hyper intéressée par ce milieu. Donc, je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui auraient été déjà découragées et dégoûtées. Mais je voulais savoir, est-ce que tu penses, que tu espères toujours un changement structurel concernant la reconnaissance des nombreuses figures Noir·e·s qui l’ont arpentées et un renversement total, surtout concernant les questions de classe et de race en ce moment ?

Christelle : Oui ! C’est un livre qui a été très dur à écrire, et je le dis parce que j’ai écrit à partir des silences, des silences des gens, de mes silences, des histoires qu’on a silenciées, des gens qui, pour les trouver, il faut aller au fin fond des archives de je ne sais pas quoi. Puis après, tu vois qu’à leur propre époque, c’étaient des stars. Et tu te dis, c’est comme ça la vie ça peut se passer. Tu peux être très haut, tout le monde te connaît. Et si ce n’est pas toi qui maîtrises les instruments de pouvoir de la mémoire, tu disparais. Mais du coup, là où ça m’a rendu très optimiste, c’est que je me suis quand même dit qu’avec mes petits moyens, j’ai quand même réussi à trouver ce type d’archives, à aller parler à ces personnes-là, revenir profondément dans mes souvenirs aussi et de me dire j’en ai créé un objet qui est digeste et qui, même si c’est un essai… Je voulais que les gens ressentent quelque chose en lisant le livre. Je voulais me dire : « Là, si tu ne te sens pas mal à l’aise, qui que tu sois, pose-toi des questions. C’est quoi ton rapport à l’humanité ?»

PZW : T’as réussi ! T’inquiète pas, tu as réussi je pense ! (rires)

Christelle : C’est pour n’importe qui à la lecture, ou des moments où je me dis là, j’aurais envie qu’une femme noire qui me dise, elle se dise merci d’avoir dit ça, parce que moi, quand je le dis, personne m’écoute et que, par exemple, je ne suis pas forcément quelqu’un qui a les mots pour écrire et je m’exprime d’une autre manière et du coup, quelqu’un le fait là. Parce que moi- même, très souvent, je lis des livres et je me dis « Purée, merci d’avoir écrit ça. Je ne savais pas comment l’articuler, mais quelqu’un l’a fait pour moi. » 

PZW : Ça sert aussi un peu à ça, quelque part !

Christelle : Ça sert à ça ! Mais là où, entre guillemets, je ne sais pas si le terme vraiment, c’est « optimisme », mais c’est qu’en fait, parfois, et dans l’intro, je l’écris, c’est à vivre dans une société et une industrie qui prônent l’égalité des chances, sans la vraiment la mettre en place de fait, on risque bien plus que l’implosion. Et c’est juste que moi, je me dis « on est dos au mur, vous voulez qu’on s’arrête de vivre là ? » C’est ça, en fait. Faites quelque chose ! Je ne sais pas si moi, des gens, les gens qui sont en position de pouvoir…Et comme je le dis dans le livre, on n’est pas tous en position de pouvoir de la même manière. J’ai bien conscience qu’il y a des gens qui prennent des décisions qui ont un impact beaucoup plus fort que moi qui sort un livre. OK, il y aura un impact, mais ce n’est pas comme si je suis président, je fais passer une loi.

PZW : Faut pas dire ça, Tu ne sais pas que ce n’est pas l’impact que ça aura ! 

Christelle : Oui, non, tu vois, on ne sait pas, mais on sait que typiquement, pour que ce livre ait un impact qui le dépasse, c’est bien d’autres gens qui doivent le lire et s’en emparer et qui, après la lecture, se disent « Je vais agir, je vais avoir cette conversation avec une telle personne, je vais lancer ma marque. J’ai envie de le faire. » et du coup, c’est un nouveau narratif que je mets dedans. C’est pour ça que mon éditrice, elle m’avait dit ce que j’aime bien dans ton résumé, c’est que tu dis, que la question que tu poses, c’est pour que les gens, ils agissent après. Ça ne m’intéresse pas d’écrire quelque chose si après, il y a rien qui se passe. Si, pour me dire « Il est trop beau ton livre, trop bien » et tout, me dire « D’accord, tu aurais pu acheter un beau vêtement » et voilà. Mais les gens agissent dessus. Et parce que je pense, c’est ce que j’ai fait avec le livre, que ce soit, par exemple, la personne qui a créée la direction artistique et la couverture qui s’appelle Marthe, c’est une femme noire comme moi, genre, queer comme moi. Elle est franco-sénégalaise, elle a grandi au Sénégal. Pour moi, c’était important de m’associer sur le projet avec des gens dont ce n’est pas juste la question de comprendre ce que j’allais dire, mais qu’ils sont en mesure d’apporter des choses que moi, je ne vais pas apporter, parce que je ne vais pas pense qu’on peut être deux femmes noires et avoir des vécus totalement différents à certains endroits et que je trouve que c’est même mieux de le dire. Parce que de 1, pour que les gens en face voient bien qu’on n’est pas unidimensionnels et que même nous, qu’on se dise « Je ne sais pas, il y a un passage du livre de Chris, j’ai lu, mais moi, je n’étais pas trop d’accord. Ce n’est pas trop mon expérience de vie. »

C’est quoi ton expérience de vie du coup ? Dis-moi, c’est ça ! Afin qu’on se complète un peu plus. Et aussi ma démarche autour du livre, j’ai fait quelques photos de portraits d’auteurs, même chose. Soit aller travailler avec des étudiants de mode ou des marques afrodescendantes ou sur les photographes, sur la partie relation presse, travailler aussi avec des médias qui couvrent les cultures noires afrodescendantes, parce qu’en fait, ça ne m’intéressait pas non plus d’écrire un livre où tu es accueillie par la critique, mais pas accueillie par les gens dont tu parles dans ton livre, que c’est aussi nécessaire qu’ils aient les deux. Et que je me dis que je pense que mon livre, quelqu’un qui est noir, mais qui a une autre perspective sur la vie, je me dis mais écris la contre-réponse au livre. Je n’ai pas écrit ce que tu pensais, je te dis, écris-en un autre, parce que il y a plein de livres sur le féminisme blanc. Il y a plein de livres sur l’expérience client dans la mode à travers les âges. Oui, si tu as envie d’écrire un autre livre sur les mannequins noires dans la mode en France, vas-y, parce que je pense que ta perspective ne sera pas la mienne, mais que c’est bienvenu ! C’est pour ça que je suis optimiste, c’est que je n’ai pas écrit pour me dire « Je suis trop contente. Je vais être la première qui va écrire sur ça et du coup, trop bien. » Je me dis « J’espère vraiment qu’il y aura plein d’autres gens après moi. » Tout comme il y a eu plein d’autres gens avant moi et qui juste, s’ils n’avaient pas été là, je n’ai rien écrit du tout. Il y aurait eu zéro ressource. Je me serais retrouvée genre « OK, merci.» Mais non.

PZW : Et on va dire avant dernière question, je voulais savoir qui étaient tes amis. Je dirais en majorité, en partie, qui elles sont, mais qui sont les personnes qui t’entourent, tes amis et les personnes qui te font du bien ?

Christelle : Dans le livre, ce sont des gens que je mentionne. Déjà, je suis hyper proche de mes cousins et cousines. Je suis hyper proche d’eux parce que je me dis c’est quand même incroyable d’être amie avec des gens de ta famille

PZW : Oui, ça revient souvent. 

Christelle : Parce que ça veut dire que les parents vont faire choses, mais c’est pas relou. Tu vois ? Je ne sais pas ce que tu veux dire. Même si parfois, c’est bien d’être avec les parents, les adultes, c’est pas ça. Mais tu te dis, on va se retrouver dans des moments de famille, mais ce sont des moments familiaux, amicaux, genre… Où on parle de tout, de rien. Chacun, tous, dans nos projets, à chaque fois que l’un ou l’autre a des projets, on vient tous. On a un groupe WhatsApp, on a un groupe Insta, on n’a pas les mêmes types de discussions, on se balance des trucs et on est de la même famille, mais on a aussi des expériences de vie très différentes. Il y a des endroits où même la question de nos milieux sociaux était aussi un peu différente. Dans le groupe, on est très proches, on est six, mais on est quatre filles, deux garçons. Même au sein du groupe, la question de la couleur… Plein de trucs que tu te dis. Parfois, je me dis heureusement que tu es de ma famille, parce que ce que tu dis là, si tu n’étais pas ma famille, je ne suis pas sûre qu’on serait ensemble. Mais qu’à la fin, c’est aussi ça, se dire : « Je suis contente que mes cousins et cousines ne soient pas non plus des gens exactement comme moi. », parce qu’ils me font apprendre des trucs que je ne connaissais pas avant. Et du coup, très, très, très, très proches d’eux. J’ai une seule de mes cousines qui a lu, je lui avais envoyé deux chapitres du livre, je crois, mais les autres, je ne leur avais pas envoyé. Pas parce que je ne voulais pas, mais juste je me suis dit « Je vais leur envoyer, mais ils ne vont pas lire parce qu’il faut avoir la flemme. » Et qu’ils liront quand je leur enverrai le livre. Mais c’était important pour moi de les mentionner dans le livre à la fin et de mentionner aussi mes ami-e-s et les gens que je considère être des sœurs, des gens qui ont changé ma vie. Et quand je dis ça, c’est vraiment réel. C’est que parfois, les gens disent « Mais tu forces, quelqu’un qui a changé ta vie. » Mais qui d’autre que tes amis changent ta vie ? Je ne comprends pas. Tu parles avec eux tout le temps, tu ris ! Tu argumentes. Parfois, vous pouvez avoir des disputes. Quand tu deviens amie.s avec des gens au point de rencontrer des membres de leurs familles, tu comprends beaucoup plus de choses sur eux. Tu commences à dire « La famille des autres gens, c’est comme ça. La mienne, c’est comme ça. » Et plus particulièrement aussi, je pense que dans les amitiés noires, par exemple, ce que je trouve important, c’est le fait de voir qu’on n’est pas des miroirs. Se dire qu’on va se retrouver à des endroits de nos expériences communes, mais qu’à d’autres endroits, tu peux te dire Je ne sais pas « Je ne pensais pas que c’est ça que tu avais comme type d’expérience de vie. » Par exemple, si on parle de la queerness ou ce genre de chose, pour en avoir parlé à des potes qui m’ont dit : « Jamais ma mère n’a pas réagi comme ça.» Comme à la fois d’un côté comme de l’autre, ça peut être rassurant de se dire « peut-être, il y a des parents qui réagissent un peu comme ça. » ou de l’autre côté de se dire « peut-être moi, j’ai de la chance. » C’est beaucoup de choses comme ça qui nourrissent les relations. Et j’aime beaucoup être seule, souvent, mais mes amis, c’est des gens où je me dis « Putain, heureusement qu’ils sont là. Heureusement qu’ils me portent dans ce que je fais. » Et que je pense qu’il faut plutôt cultiver ses amitiés ou ses amours ou je ne sais pas quoi, mais que les relations sociales extérieures, ça apporte bien plus que la visibilité ou la reconnaissance médiatique. Parce ce sont des gens qui, avant, après les tempêtes, sont censés être là. Tout comme tu es censée être là pour eux et tu te dis « J’espère que ce sera toute la vie. » Après, les ruptures d’amitié, ça existe aussi, évidemment, ce n’est pas facile. Mais oui, mes amis qui sont mentionnés à la fin du livre. Voilà, je fais un shout out à eux ! Merci à eux de me supporter. Ça fait plaisir. Voilà ! 

PZW : Et donc, petite question culturelle, mais qu’est-ce que tu lis en ce moment ? Qu’est-ce que tu regardes ?

Christelle : Je reviens de trois semaines au Congo et je n’ai fait que lire ! J’ai lu sept livres en trois semaines. C’était vraiment en mode Internet, au revoir, téléphone, au revoir. Maintenant, on va faire que lire et dormir. Quand j’étais au Congo, j’ai lu l’autobiographie d‘Edward Enninful, le rédacteur en chef de Vogue UK, qui s’appelle A Visible Man. Et je me suis dit, «what a life ! » Je me suis dit, il y a des gens… Toi, tu es là, tu regardes les images, tu regardes les interviews de quelqu’un. De temps en temps, oui, il y a les posts Insta, etc. C’est ça que j’aime avec l’objet livre, c’est qu’un livre écrit à la première personne, tu rentres dans le cerveau et dans le corps de la personne, dans ses émotions. Forcément, ça donne une autre perspective sur son travail. Vraiment, ce livre je le recommande à toute personne qui est créative, pas que la question de la mode, mais qui est créative, qu’elle travaille dans le secteur ou non. Je le recommande parce que tu dis que rien n’est écrit d’avance, et que lui, il en parle aussi beaucoup dans le livre de ses amis, de ses amis et de sa famille et de comment, au moment où tout le monde se dsait « Waouh, il a une vie trop shiny » et tout, que c’était trop la merde et qu’heureusement que ses amis étaient là ou alors que de l’autre côté, parfois, il s’éloignait d’amis parce qu’il pensait que le travail était beaucoup plus important et après, tu en pâtis. Donc j’ai lu A visible man, j’ai lu la revue Air Afrique qui était trop bien, trop trop bien. C’était important pour moi de la lire en étant au Congo, je pense, parce que je l’avais depuis longtemps, en vrai. Ça fait un mois au moins que je l’avais, mais je me suis dit « Moi, je ne veux pas la lire à Paris parce que je sais que le goût, il est différent un peu. » 

PZW : La chance que tu as ! (rires)

Christelle : Après, j’ai eu la chance d’aller au Congo. Je ne me suis pas organisée un voyage pour le lire, du tout. Mais aussi parce que quand j’étais petite, on habitait en Guinée avec ma famille, du coup, Air Afrique, c’est une compagnie qu’on a prise, que mes parents ont beaucoup prise, que des gens de ma famille ont beaucoup pris ou des gens de ma famille ont travaillé là-bas. Je trouvais que la dimension était forte. Même, il y a des gens de ma famille qui m’ont dit « Air Afrique, ça revient. » Un oncle, une tante qui voit un que je leur ai dit « Non, mais regardez » et du coup ils voulaient l lire. Il y a beaucoup d’articles qui m’ont touchée dedans. Il y en a un sur une bibliothécaire, l’entretien avec Euzhan Palcy que j’ai beaucoup aimé. Ce qui m’a surtout plu dans la revue, c’est que je me suis dit « C’est une revue avec différents niveaux de langues. Il y a des niveaux de langues qui sont très universitaires, il y a des niveaux de langues qui sont, quand je dis plus accessibles, c’est juste le « anyone else could read » sans avoir les références et qu’en même temps, ça reste une revue exigeante. En fait, ça m’a fait grave plaisir de lire ça parce que je me suis dit : j’aime trop cette génération parce qu’on fait des choses et que si c’est moi qui l’avais fait, je l’aurais fait très différemment, mais forcément, c’est ça qui m’importe, donc trop bien. Et après, j’ai tant de livres :  j’ai lu Alain Mabanckou, en ce moment, je suis en train de lire un livre d’une autrice iranienne qui s’appelle Désorientale; Ce que le jour doit à la nuit

PZW : En tout cas ! 

Christelle : J’ai plongé dedans. Franchement, j’ai vraiment lu plein de livres. 

PZW : Très international…très très noir ! (rires)

Christelle : Oui, c’est vrai. Mais j’ai lu aussi un auteur que j’adore qui est un auteur français et blanc qui s’appelle Nicolas Mathieu, qui a eu le Goncourt il y a quatre ans, et qui a écrit un livre qui s’appelle Connemara. Il suit une fille et un garçon qui viennent d’un même village dans l’Est de la France et ils suivent leur ascension de vie différente. En gros, le mec qui reste un peu dans sa ville d’origine et dans son milieu social d’origine et qui change un peu. Et puis finalement, ils reviennent. Et lire ce livre, franchement, quand j’ai fini de lire, je me suis dit « Non, mais il y a des gens, ils sont trop forts pour écrire. Il est trop fort parce que le livre fait 300 pages. Il te racontent 40 ans de vie de gens, mais ce n’est pas long. Tu n’es pas en mode « J’en ai marre de lire. » Tu es là, tu rigoles et puis c’est écrit d’une manière très accessible. Et en vrai, de vrai, de toute façon, j’avais déjà l’idée avant, mais, plus j’écrivais cet essai et plus je me suis dit « Ma belle, les essais, c’est bien beau, mais après, on ne va pas écrire des essais parce que tu es trop enfermée dans la réalité des faits.» C’est un peu comme tu disais à des moments, c’est un livre qui est chargé et donc, tu ne pouvais pas réinventer la réalité. Or, dans un roman et dans une fiction, tu peux sortir. Qui va savoir quoi ? Tu ne dois pas la vérité aux gens. Franchement, quand je l’ai lu, ce roman-là particulièrement, je me suis dit « C’est ça que je veux faire. Écrire quelque chose où c’est fictionnel, mais ça n’en est pas moins porteur des faits dont je parle. » Je ne sais pas encore sur quoi ? En vrai, je sais, mais on en parlera un jour. Je me suis dit « C’est ouf tout ce que ça peut créer une lecture chez les gens. » Je ne suis pas dans l’injonction du tout de la lecture. Je pense que parfois, on n’a pas le temps de lire ou on n’a pas la tête à ça ou ce n’est pas forcément sa proximité avec les choses. C’est aussi pour ça que je trouve que c’est important qu’il y ait différents niveaux de langues dans la littérature, pour que n’importe qui puisse se dire « Ça, ça me parle parce que c’est un langage que je peux comprendre et qui ne m’est pas trop difficile de rentrer là-dedans.» Et qu’aussi, le fait d’avoir écrit un essai, je me suis dit que c’est plus facile de trouver des essais qui vont parler de la question noire que de romans dont les protagonistes sont des personnes noires françaises, dont la vie, c’est juste life et pas du coup, la vie, c’est tellement dur, tu comprends. Tous les jours, je me réveille, je me regarde, c’est dur. Je sais, mais ce n’est pas ça ma vie. Tous les jours, ce n’est pas ça qui me traverse l’esprit. Donc voilà !

PZW : Alors, qu’est- ce qu’on peut te souhaiter enfin, Christelle ?

Christelle : La santé, toujours, parce que je n’ai pas envie de mourir jeune.

PZW : Les deux, physique et mentale j’imagine !

Christelle : Oui, voilà ! 

PZW : Il y a plusieurs santés !

Christelle : Vraiment, la santé physique, mentale, que la promo du livre se passe bien.

PZW : Elle se passe bien jusqu’à présent ?

Christelle : Oui, jusqu’à présent, ça se passe bien. Ça fait plaisir, tu vois, juste de dire que tu es là, tu écris chez toi sur un tel et puis après, les gens disent « ,tout le truc est intéressant. » J’espère que ça va m’amener à faire des rencontres différentes avec les gens, mais peut-être aussi avec moi-même de comprendre ce que j’ai mis de moi dans ce livre. Parce que quand on écrit un truc et qu’on lit et qu’on relit et qu’on relit, moi, à un moment de mon livre, je ne voulais plus le voir ! Je me suis dit, mais j’en peux plus, ce truc. Il faut faire des corrections tout le temps, envoyez-le là-bas, j’en peux plus. Et maintenant, ça donne une nouvelle vie au truc où je me dis c’est plus agréable maintenant d’être confrontée au texte, de voir ce que les gens en font, en pensent et créent derrière. Tout comme moi, je lis un truc et je me dis « Trop cool, on va faire ça après. » Donc oui, longue vie à ce livre ! Et bien sûr, comme toujours, Aya, si un jour tu travailles avec moi (rires), je suis là, mon DM, on est là, je vous voilà. De toute façon, je sais, ça va arriver ! 

PZW : C’est prophétique la parole. 

Christelle : Voilà, je suis dans les prophéties.

PZW : Aya, Aya, réponds ! (rires)

Christelle : En mode “Mayday, mayday”. Voilà, voilà, c’est tout ! 

PZW : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à mes questions ! 

« Corps Noirs » c’est plus qu’un essai c’est une déclaration de prise de position, d’affirmation quant à ta volonté de retranscrire ton univers et des tiens, ton entourage, ta communauté et toutes les personnes qui sauront se reconnaître en ton histoire et parcours, aussi inspirant et touchant qu’il est. À titre personnel, j’ai ri et pleuré, j’ai crié mais j’ai aussi soufflé de plaisir et de joie en voyant des noms ou anecdotes retranscrites que j’avais saisi lors de mes multiples documentations de Twitter à Netflix, c’est un essai historique, qui s’inscrit naturellement dans l’histoire de la mode et l’histoire française, que ce pays le veuille ou pas. Je te remercie de m’avoir fait confiance en le lisant avant sa sortie officielle et de m’avoir partagé ses expériences et moments de ton enfance et de ta vie de femme auteure et amoureuse inconditionnelle de la mode ! 

Lunaticharlie !

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